Art contemporain

Thomas Schütte en scène à la Monnaie

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 9 mai 2019 - 686 mots

PARIS

La Monnaie de Paris rend hommage à ce réinventeur de la sculpture, dans un parcours qui permet de découvrir toutes les facettes de son œuvre, de ses figures sardoniques à ses projections architecturales en passant par ses vanités.

Paris. Le public ne se bouscule pas ces derniers temps au 11 Conti-Monnaie de Paris. Les « Trois actes » consacrés à Thomas Schütte méritent pourtant le détour. La dernière exposition en France de l’artiste allemand remonte à 2003, au Musée de Grenoble, et, depuis celle du Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1990, aucune institution de la capitale n’avait montré son travail. On le découvre ici en grand : au total, une soixantaine d’œuvres sont présentées, pour certaines monumentales. On aurait pu croire Thomas Schütte trop occupé par la préparation de sa rétrospective au MoMA de New York. Par chance, la date en a été retardée, explique Camille Morineau. La directrice des expositions et des collections raconte avoir, dès 2016, adressé une demande à l’artiste qu’elle connaît depuis longtemps. Et souligne, autant que son importance dans l’histoire de l’art contemporain, la grande fidélité de ce dernier.

La comédie humaine

C’est cependant son étonnante versatilité qui frappe d’abord. Accueilli par trois imposantes statues masculines (Mann im Wind I, II, III, 2018) en bronze patiné, silhouettes encore prises dans la glaise postées dans la cour d’honneur, le visiteur entame le parcours par la vision de deux corps féminins, l’un déformé et comme écartelé tendant vers l’abstraction (Stahlfrau Nr .18, 2006), le second, tout en volutes d’aluminium poli, surmonté par un visage angélique (Aluminiumfrau Nr. 17, 2009).

Tour à tour toisé, en raison de leur accrochage en hauteur, par des visages effrayants (Wichte, 2006), entouré d’aquarelles au trait léger, spectateur d’étranges poupées siamoises grimaçantes placées sous cloche ou ligotées par des bouts de ficelle (United Enemies, 1993-1994), il passe de la fascination à la répulsion, de l’amusement à l’horreur.

Puis, changement de registre, le sculpteur de la comédie humaine cède la place à l’artiste-architecte. Ses maquettes de constructions, réelles ou rêvées, sont au départ des modèles réduits, avant de devenir de plus en plus grandes jusqu’à prendre la forme d’une unité habitable. En choisissant d’embrasser la variété des médiums et des matériaux – gravures, aquarelles, céramique, bronze – ainsi que des motifs abordés par Schütte, l’exposition ne court-elle pas le risque de décontenancer un public peu familier avec son univers ? Camille Morineau insiste au contraire sur l’intérêt d’aborder « toutes les facettes de son œuvre, à travers trois axes : son travail autour de l’architecture, celui autour de la figure, enfin le thème des vanités, que l’on retrouve par exemple dans ses aquarelles de fleurs ou ses masques mortuaires ». Une pièce en trois actes, donc, qui offre à chaque spectateur d’expérimenter la sensation d’être potentiellement acteur du théâtre de l’artiste, une dramaturgie qui renvoie à un monde réel. La démonstration culmine avec Dreiakter [« Trois actes »] (1982), installation centrale qui met en perspective les rapports d’échelle et illustre les symétries entre la scène et la vie, du point de vue du « regardeur ».

Dernière pièce présentée dans le salon Dupré, Kristal II (2014), maison à vivre, résume à elle seule toutes les postures suggérées par Schütte, de la contemplation à l’exhibition, sans proposer d’échappatoire. Cette œuvre ouverte, au propre comme au figuré, est aussi caractéristique, en l’absence de commentaires par l’artiste, de la liberté d’interprétation que celui-ci autorise de manière générale. Reste que sa veine caustique est perceptible tout au long du parcours, depuis le dragon débonnaire (Drittes Tier, 2017) imaginé à partir des figurines en pâte à modeler de ses enfants jusqu’au dessin de sa Skulpturenhalle, qui lui a été inspiré par le rapprochement d’une chips et d’une boîte d’allumettes, celle-là coiffant celle-ci. Le lieu, édifié près de Neuss en allemagne, est consacré à la sculpture. C’est aussi le cas de la programmation de la Monnaie, qui entend faire valoir le renouveau de ce médium. Coïncidence, au moment où commençait l’exposition de Thomas Schütte, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris vernissait celle consacrée à Thomas Houseago [lire p. 24]. Un autre sculpteur, qui fut l’élève de Schütte.

Thomas Schütte, Trois actes,
jusqu’au 16 juin, 11 Conti-Monnaie de Paris, 11, quai de Conti 75006 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°523 du 10 mai 2019, avec le titre suivant : Thomas Schütte en scène à la Monnaie

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