Collection

Retour au pays des chefs-d’œuvre de Sir Robert

Par Jean-Louis Gaillemin · L'ŒIL

Le 1 février 2003 - 793 mots

« Le British Museum, Monsieur, possède peu de tableaux de valeur, alors que nous avons tellement besoin d’une école anglaise de peinture. Si nous voulons rivaliser avec l’école italienne, la flamande et même la française, nos artistes doivent avoir sous leurs yeux les œuvres accomplies des plus grands maîtres. Une telle occasion doit se présenter très prochainement... l’une des plus importantes collections, celle d’Houghton, faite par Sir Robert Walpole, reconnue comme supérieure à la plupart des collections italiennes et à peine inférieure à celle du duc d’Orléans à Paris, doit être vendue par la famille. J’espère qu’elle ne sera pas dispersée mais acquise par le Parlement et destinée au British Museum. » Cette intervention au Parlement à Londres en avril 1777 illustre un débat toujours d’actualité en Angleterre. À l’époque, la collection n’était pas guignée par un grand musée américain, mais par l’impératrice de Russie, la Grande Catherine, aussi impétueuse dans ses passions artistiques que dans sa vie sentimentale. Constituée par Robert Walpole (1676-1745), leader whig, considéré comme le premier « Prime Minister » de la vie politique anglaise (sous George Ier et George II), l’importante collection était hébergée dans ses différentes résidences londoniennes dont le 10 Downing Street, avant d’être transférée, après sa démission en 1742, à Houghton Hall, somptueux « palais » moitié palladien, moitié « à la française » construit dans le Norfolk. Cette collection destinée à asseoir la réputation d’homme cultivé de Sir Robert, nommé Earl of Orford en 1742, avait été judicieusement rassemblée par des achats de collections existantes comme les dix-neuf Van Dyck de Lord Wharton, acquis pour seulement 1 500 livres. L’ensemble fut publié dans un somptueux catalogue Aedes Walpolianae par son fils Horace, le futur créateur de Strawberry Hill et auteur du Château d’Otrante. L’ouvrage destiné à asseoir la gloire des Walpole et de Houghton fut malheureusement fort utile au troisième Earl of Orford pour séduire l’impératrice de Russie par l’intermédiaire de son ambassadeur Aleksei Musin-Pushkin. « Voyez un peu comme les alouettes viennent donner dans mes filets », annonce la souveraine au baron Grimm à Paris en février 1779. « Pour les Walpole [...], ils ne sont plus à avoir, parce que votre très humble servante a déjà mis la patte dessus et qu’elle ne les lâchera pas plus qu’un chat une souris », lui fait-elle savoir en avril. Malgré une campagne de presse tardive et confuse, « les Walpole » parviennent en Russie, « pour être la proie de la prochaine révolte populaire », comme le prévoyait Horace, défiant, comme ses compatriotes, à l’égard des Russes. Convoyés directement du château à un port local, les deux cent un tableaux gagnent la galerie impériale puis sont distribués en 1852 dans le Nouvel Ermitage construit par Leo von Klenze. En 1873, quelques œuvres sont transférées à Moscou. Les pertes n’auront pas lieu lors de la révolution d’Octobre mais à l’entre-deux-guerres lorsque le pouvoir soviétique vend Hélène Fourment de Rubens à Calouste Gulbenkian, des portraits de Van Dyck, Velázquez et Hals à la National Gallery of Art de Washington, et pendant la Seconde Guerre mondiale – certaines réserves, aux environs de Leningrad, sont touchées. Aujourd’hui, trente-quatre œuvres de la collection sont rentrées temporairement en Angleterre pour être accrochées dans le « mini-Ermitage » installé depuis deux ans dans une aile de Sommerset House et qui reçoit, par roulement, des chefs-d’œuvre du musée de Saint-Pétersbourg. Parmi les toiles de Houghton, Le Sacrifice d’Isaac par Abraham de Rembrandt était considéré comme l’un des plus importants du maître à l’Ermitage. Au xixe siècle, il était accroché symétriquement à la Danaé du même artiste. Van Dyck est représenté par des portraits d’Inigo Jones et de Thomas Challoner. Grand amateur de peinture italienne, Sir Robert avait rassemblé une série d’œuvres de Carlo Maratta qui avait donné son nom à un salon de Houghton, en témoigne le superbe portrait du pape Clément IX. Walpole n’était pas seulement collectionneur de peinture ancienne – nous retrouvons à Londres les noms de Guido Reni, Nicolas Poussin, Claude Lorrain, Murillo ou Frans Snyders –, il protégeait les artistes anglais de son temps, comme John Wootton, qui l’a représenté en gentilhomme campagnard, avec son cheval, son groom et ses chiens. Pour renforcer l’importance de l’exposition Walpole, le marquis de Cholmondeley, propriétaire d’Houghton, a prêté quelques-uns des bronzes d’après l’antique que toute maison anglaise se devait d’avoir, et qui sont toujours restés sur place. L’événement est consacré par un catalogue qui recense tous les tableaux vendus à Catherine II, même si certaines photos en noir et blanc témoignent d’œuvres aujourd’hui disparues : A capital collection, Houghton Hall and the Hermitage, Yale University Press, 2002.

LONDRES, Hermitage Rooms, Sommerset House. Entrée par le quai Victoria, le Waterloo Bridge ou le Strand, tél. 020 7845 4600, www.hermitagerooms.com 28 septembre-23 février.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°544 du 1 février 2003, avec le titre suivant : Retour au pays des chefs-d’œuvre de Sir Robert

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