Chamanisme

Résilience amérindienne

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 7 juin 2016 - 755 mots

Le Musée d’ethnographie de Genève s’intéresse aux processus d’adaptation des peuples autochtones.

GENÈVE - Coiffé de son traditionnel cocar (coiffe) de plumes d’aigles et habillé d’un simple short, le chef Indien Almir Narayamoga Suruí se tient fièrement au milieu de la forêt. Appuyé sur un tronc d’arbre, il fait face à l’objectif du photographe. Son portrait est exposé à l’entrée de l’exposition « Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt » aux côtés de ceux d’autres leaders ou chamanes amérindiens. Almir Narayamoga Suruí est né en 1974, cinq ans après que son peuple fut entré en contact avec les Blancs. Une rencontre aux conséquences désastreuses pour les Suruí qui furent décimés par des épidémies en moins de deux ans. En 1971, il ne restait plus que 240 individus sur une population totale de 5 000 personnes.

À l’âge de 17 ans, Almir a été élu chef de son clan. À 20 ans, il est devenu coordinateur du mouvement indigène de l’État du Rondônia (Brésil), puis responsable environnement de la Coordination des Indiens d’Amazonie brésilienne. Il s’emploie maintenant à reconstruire l’identité de son peuple et à l’ouvrir à la modernité. « Nous sommes aujourd’hui 1 400. Nous avons réussi à survivre mais, notre priorité est désormais de protéger la forêt et de mettre en garde le reste de l’humanité sur la nécessité de préserver ce poumon vital pour les générations futures », raconte-t-il dans un documentaire diffusé sur un des multiples écrans vidéo placés le long du parcours de l’exposition du Musée d’ethnographie de Genève (MEG).

Agents du surnaturel
L’histoire des peuples amérindiens est une histoire de lutte et de résilience, comme le montre de manière didactique Boris Wastiau, le commissaire de l’exposition et directeur du MEG. Depuis la période de conquête au XVe siècle, entre 12 et 15 millions d’individus auraient été tués à la suite des massacres perpétrés par les colonisateurs et des maladies qui se sont propagées. Ces populations bénéficient depuis une trentaine d’années d’une légère reprise démographique. Le Brésil, le plus grand des pays amazoniens, recense aujourd’hui 900 000 individus répartis en 237 ethnies.
Les chamanes, praticiens, prêtres et thérapeutes sont des personnages centraux des populations amérindiennes d’Amazonie qui entretiennent une vision holistique et animiste de l’environnement. Ces « agents du surnaturel », capables d’entrer en relation avec le monde des esprits qui peuplent la forêt, auraient joué un rôle essentiel dans le processus d’adaptation de ces populations. En témoignent les rituels chamaniques des Wauja de la région du Xingu (État du Mato Grosso) dont le rôle thérapeutique essentiel a été démontré. On remarquera notamment les longs et délicats masques en fibre de palmier et coton aux formes d’animaux (jaguar, crocodile, singe noir, tortue) utilisés lors des rituels consacrés aux esprits apapaatai, et qui visent à transmuer le mal en source de protection.

AMAZONIE. LE CHAMANE ET LA PENSÉE DE LA FORET

Jusqu’au 8 janvier 2017, Musée d’ethnographie de Genève, bd Carl-Vogt 65-67, Genève, tlj sauf lundi 11h-18h

9 CHF (env. 8 €). Catalogue, 208 p, 32 €

MEG

Une exposition particulièrement immersive

« Selon la perspective amérindienne, le son permet aux hommes, aux esprits et aux animaux de communiquer entre eux. Le mode de pensée de ces peuples met au premier plan la perception auditive », expliquent les ethnomusicologues Mathias Lewy et Bernd Brabec de Mori. Dès l’entrée dans l’espace de l’exposition, le visiteur se trouve immergé dans une symphonie de couleurs (splendides diadèmes et parures de plumes d’ara et de toucan, magnifiques masques multicolores de plumes d’oiseaux), mais aussi de sons. Un paysage sonore reconstitue de manière subtile les sons de la forêt amazonienne produits par le vent glissant au milieu des arbres et des végétaux, les bruits des animaux et des hommes. Ces ethnomusicologues, assistés de Madeleine Leclair, conservatrice au MEG, et du compositeur Nicolas Field, ont conçu également seize contes sonores illustrant la pensée chamanique et le perspectivisme, un concept anthropologique qui rend compte de la capacité des individus à se mettre à la place de l’autre, humain ou animal.

Admirablement scénographiée par les architectes genevois Bernard Delacoste et Marcel Croubalian, l’exposition est scindée en quatre parties. On pénètre d’abord dans une allée sinueuse qui reprend les méandres d’un affluent de l’Amazonie avant de gagner une haute canopée laissant, de temps à autre, filtrer les rayons du soleil, puis une zone de forêt dense figurée à l’aide de tissus vert sombre ajourés. Le parcours s’achève dans une structure circulaire évoquant une maison traditionnelle Yanomami dans laquelle sont diffusés sur des écrans 19 portraits vidéo réalisés par des Indiens.

Éric Tariant

AMAZONIE

Commissaire : Boris Wastiau

Nombre d’œuvres : 433

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : Résilience amérindienne

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