Art moderne

Renoir, un moderne ?

Pour en finir avec l’impressionnisme

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 22 septembre 2009 - 997 mots

Alors que Renoir vient d’écrire un chapitre majeur de l’histoire de l’art, il décide de renouveler sa peinture et, au soir de sa vie et au seuil du nouveau siècle, de tourner la page de l’impressionnisme.

L'exposition « Renoir au XXe siècle » hébergée par le Grand Palais jusqu’au 4 janvier 2010 ne peut ignorer la place qu’occupe actuellement l’artiste dans l’imaginaire collectif. Elle ne peut mésestimer ce que les œuvres de Renoir sont devenues : des millions d’euros dans des transactions marchandes, des images stéréotypées pour publicités faciles, des objets de convoitise effrénée, des vignettes pour boîtes à sucre, des mièvreries synonymiques du bonheur parisien « fin de siècle ». En un mot, des œuvres vid(é)es de sens pour avoir été si souvent reproduites et si peu vues. Or, précisément, les commissaires de la présente exposition ont choisi non pas de répéter le miracle, en donnant à voir les mêmes objets de vénération, mais de bouleverser cette dévotion éblouie en divulguant du génie des suaires inconnus. Avec cette question, longtemps ignorée par l’exégèse : bien qu’étant un chantre admiré de l’impressionnisme, Renoir serait-il aussi un passeur admirable de la modernité ?

Intimité et intériorité
Le millésime 1892 marque assurément une césure dans la carrière de Renoir. Durand-Ruel, son fidèle marchand, lui consacre une rétrospective importante tandis que ses Jeunes filles au piano (1892) entrent au musée du Luxembourg grâce à l’intercession de Mallarmé. Mais sur ces lauriers tardifs, Renoir ne se repose pas. Dont acte : découvrant l’Espagne et, avec, les œuvres de Velázquez et de Goya, il entreprend de modifier sa peinture en relisant la tradition. Son entourage immédiat – épouse et enfants, nourrice et amis – lui souffle les modèles d’une nouvelle grammaire où chaque personnage se déploie à mi-corps dans l’espace de la toile (Christine Lerolle, 1897). Brodant, lisant ou filant, ces figures lointaines, véritables paradigmes de l’absorbement, rappellent combien Renoir observa Fragonard, sa science psychologique et sa simplicité feinte (Gabrielle lisant, 1906).

Baroque et classicisme
Particulièrement sobre, la scénographie de Pascal Rodriguez rend justice aux nus magistraux que Renoir décline avec une ardeur inébranlable. Opulents, presque déliquescents, les corps féminins ne sont plus présidés par des prescriptions de vraisemblance (Dormeuse, 1900). Pleins et lourds, roses et jaunes, ils ont du baroque les ors fastueux et du classicisme l’auguste simplicité (La Source, 1906). Quoique invalide, Renoir jouit moins de la vision de la chair que de l’exercice de la peinture. Les paysages méditerranéens révèlent ce même jeu sur la répétition et la série, la variation et la transformation. Cagnes s’apparente à un rêve idyllique et arcadien (Coup de soleil, 1923), la terre à un « paradis des dieux » (Jugement de Pâris, 1908, p. 42). Renoir n’enjolive plus, ne farde rien. Seuls comptent la technique et le « métier », le glacis et la matière, le cadrage et le modelé, la forme et la force (Venus Victrix, 1914). Au cœur de ce classicisme moderne, la figure, obsédante et anonyme, répète les mêmes gestes, ceux de l’humanité première indifférente à la marche du temps. Plus de canotier ni de moulin, mais des laveuses et des danseuses, des Pomone et des Vénus (Grande laveuse accroupie, 1916).

Pour Denis, « l’exemple à suivre »
Réinvestissant la leçon des Anciens, de Titien à Ingres en passant par Boucher, Renoir excède les genres. S’adonnant à l’illustration ou aux arts prétendument « mineurs » (Hymne à la vie, 1914-1917), il fait montre de cette même science de la composition, de cette même propension monumentale. À cet égard, ses œuvres décoratives trahissent la nature cruciale de ses réflexions autour de la dimension et de l’échelle, du matériau et de la matrice (Joueur de flûteau, 1918). Et Maurice Denis d’être formel : Renoir est bien « l’exemple à suivre ». Longtemps ignorés, les grands nus de Renoir constituent la section nodale du parcours. L’artiste y donne la mesure de son talent : les corps colossaux remplissent le champ de la toile, les chairs disloquées accueillent des couleurs imprévues, parfois inconnues (Baigneuse, 1913). L’apparente impulsivité de la touche dissimule la prégnance du dessin, la hardiesse du geste fait oublier sa remarquable préméditation. Et si cette recherche souveraine de monumentalité doit au Cinquecento vénitien et au xviiie siècle français, certaines œuvres majeures de Bonnard, Maillol ou Picasso (Grande baigneuse, 1921) dénotent sa fécondité généalogique. Aussi ne s’étonnera-t-on pas qu’une petite Baigneuse (vers 1917-1918) de l’artiste jouxtât le Nu descendant l’escalier n° 2 (1912) de Duchamp dans l’appartement new-yorkais des collectionneurs Arensberg…

Son « caractère d’exception »
Insolents de fraîcheur et de vitalité, les dessins (Femme nue de dos, 1890-1891) et les portraits (Pierrot blanc, 1901) contredisent la traditionnelle courbe naissance-maturité-déclin qui voudrait que les dernières années de Renoir fussent celles d’un irrémédiable étiolement. L’ultime section, consacrée aux splendides Baigneuses (1918, p. 47) du musée d’Orsay, hisse sans ambages cette toile au rang de chef-d’œuvre testamentaire, son legs à la modernité matissienne et picassienne transpirant aussi bien dans la liberté du geste que dans la licence chromatique. Un bouquet final, un feu d’artifice. Du reste, il fallut attendre Picasso pour que la logorrhée créatrice de Renoir – évaluée à quelque six mille toiles – soit finalement dépassée. Tout comme il fallut attendre cette exposition brillante pour que la sentence de Clément Greenberg fût enfin prise en compte : « Sans doute Renoir est-il encore trop proche de nous pour que l’on puisse vraiment apprécier son caractère d’exception. »

Biographie

1841 Renoir naît à Limoges.

1861
S’inscrit à l’atelier de Charles Gleyre où il rencontre Bazille, Sisley et Monet.

1864
Débuts au Salon.

1874
Participe à la première exposition impressionniste à Paris.

1876
Le Bal du moulin de la Galette.

1881
Peint le Déjeuner des canotiers, et amorce un retour au dessin et au travail en atelier.

1892
Les œuvres de Velázquez et de Goya, au Prado à Madrid, sont une révélation.

1904
Rétrospective au Salon d’automne.

1913
Envoie cinq tableaux à l’Armory Show, à New York.

1918
Les Grandes Baigneuses.

1919
Décède à Cagnes-sur-Mer.

Autour de l’exposition
Informations pratiques. « Renoir au XXe siècle », jusqu’au 4 janvier 2010. Grand Palais, Paris. Tous les jours, sauf le mardi et le 25 décembre, de 10 h à 22 h, jusqu’à 20 h le jeudi. Vacances scolaires : tous les jours même le mardi de 9 h à 23 h. Tarifs : 11 et 8 €. www.grandpalais.fr
Dernier atelier, à Cagnes. À Cagnes-sur-Mer (06), la maison et l’atelier que Renoir fit construire sur le domaine des Collettes en 1907-1908 abritent désormais son musée éponyme. Mobilier, objets et toiles de l’artiste font revivre l’atmosphère de cette demeure où il s’est éteint en 1919. Y sont aussi présentées des sculptures modelées par le praticien Guino sous la dictée du maître. Ce sculpteur catalan est également l’auteur du buste qui orne la sépulture de Renoir située à Essoyes (10) où il possédait un autre atelier.www.cagnes-tourisme.com et www.essoyes.fr

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°617 du 1 octobre 2009, avec le titre suivant : Renoir, un moderne ?

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