Paris

Peintres en toutes lettres

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 7 juin 2011 - 787 mots

Quarante artistes des XIXe et XXe siècles se dévoilent au fil de leurs correspondances. Une exposition dense et passionnante.

PARIS - « Cher et grand poète, vous l’avez dit, j’ai l’indépendance féroce du montagnard ; on pourra je crois mettre hardiment sur ma tombe […] Courbet sans courbettes. » Adressée en 1864 à Victor Hugo, alors en exil à Guernesey, cette lettre amère de Gustave Courbet dresse un portrait critique de la France du Second Empire : « Delacroix […] n’avait pas comme moi cette meute de chiens bâtards hurlant à ses trousses au service de leurs maîtres bâtards eux-mêmes, les luttes étaient artistiques, c’était des questions de principes, vous n’étiez pas menacé de proscription ». Au Musée des lettres et manuscrits, à Paris, l’exposition « Des lettres et des peintres » propose d’entrer au cœur du quotidien d’une quarantaine de peintres, de 1800 à 1950 environ.

La collection de cette institution, récemment installée boulevard Saint-Germain, se prête bien à une telle entreprise. D’Ingres à Miró, peintres, écrivains, marchands et galeristes écrivent et reçoivent une correspondance abondante, reflet de leurs préoccupations : peindre, assurer le quotidien, prendre soin de leurs proches et regarder le monde. Classés thématiquement, ces papiers se recoupent très souvent, tant sont enchevêtrés les thèmes de la vie. Au fil des vitrines, on entre dans l’intimité de ces artistes, dans leurs contrariétés ou dans leurs joies d’hommes. Ainsi de Théodore Géricault, dont la correspondance enflammée nous révèle l’emphase de ses sentiments amoureux. « Belle et riante déesse, car il faut enfin dire quelque chose, aimable sirène des amours, consolation des pâles humains, à quoi puis-je attribuer une faveur si grande, je n’ai rien vous le savez, je ne suis pas », écrit-il à sa dernière maîtresse, avant qu’une autre lettre, de rupture celle-ci, mette fin dans l’amertume à cette relation intense. Claude Monet, lui, doute et renonce à illustrer les poèmes de Stéphane Mallarmé : « La vérité vraie, c’est que je me sens incapable de vous faire rien qui vaille. Il y a peut-être rien d’amour-propre mais vraiment dès que je veux faire la moindre chose avec des crayons cela est absurde et de nul intérêt, par conséquent indigne d’accompagner vos poèmes exquis », avoue le peintre au poète, dans une missive où il évoque ensuite la souscription lancée pour offrir l’Olympia de Manet au Musée du Louvre. La petite et la grande histoire semblent souvent se rejoindre dans ces témoignages.

Pierre Bonnard s’inquiète pour son amie Misia Sert, muse et égérie des Nabis : « On lit votre cœur entre vos lignes. Moi aussi je pense bien à vous non sans quelque inquiétude je l’avoue quoique je ne me permette pas de juger ce que votre nouvelle existence vous a apporté de joie ou de tristesse », confie-t-il à la jeune femme qui vient de se remarier avec un richissime banquier américain. De son côté, Paul Gauguin, à Papeete, écrit à Vollard pour se plaindre du matériel qu’il vient de recevoir de la part du marchand et demander un nouvel envoi… 

Famille, argent, peinture
On s’écrit beaucoup, pour parler du beau temps, des soucis familiaux ou financiers, mais on parle également et surtout de peinture. Camille Pissarro donne ainsi des conseils à Gauguin : « Votre tableau, la vue d’église à Rouen, par temps gris, est très bien. C’est encore un peu terne. Les verts ne sont pas assez lumineux. » Paul Cézanne décrit sa découverte des paysages de l’Estaque au même Pissarro : « C’est comme des cartes à jouer. Des toits rouges sur la mer bleue. […] Le soleil y est si effrayant qu’il me semble que les objets s’enlèvent en silhouette non pas seulement en blanc ou noir, mais en bleu, en rouge, en brun, en violet. Je puis me tromper mais il me semble que c’est l’antipode du modelé. » Quelques dessins fusent, au hasard d’une page, d’un coin de feuille. René Magritte évoque à un ami un rêve : « Cette nuit, j’ai vu quelque chose de bien », esquissant une femme nue, un pont encastré dans son bas-ventre, véritable vision surréaliste.

Le parcours met en avant trois grandes figures – celles de Manet, Gauguin et Matisse – dans des vitrines monographiques. Quelques perles se dénichent ailleurs, chez Léger et son vocabulaire cru, chez Kandinsky, pédagogue auprès d’un jeune artiste russe. Le visiteur aura peut-être du mal à s’y retrouver dans cette présentation si dense, d’autant que le catalogue fait l’impasse sur plusieurs courriers intéressants. Au détour d’un billet illustré, Maurice Denis conclut : « Le dessin est une écriture ». Ici l’écriture s’expose, avec, en creux, la peinture. 

DES LETTRES ET DES PEINTRES

Commissariat : Estelle Gaudry assistée de Sébastien Zaaf

Nombre d’œuvres : env. 200

Des lettres et des peintres (Manet, Gauguin, Matisse...)

Jusqu’au 28 août, Musée des lettres et manuscrits, 222, bd Saint-Germain, 75007 Paris, tél. 01 42 22 48 48, www.museedeslettres.fr, tlj sauf lundi 10h-19h, jeudi jusqu’à 21h30. Catalogue, coéd. Beaux Arts et Musée des lettres et manuscrits, 288 p., 39 euros, ISBN 978-2-8427-8825-4

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°349 du 10 juin 2011, avec le titre suivant : Peintres en toutes lettres

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