Art contemporain

Rétrospective

Pascal Pinaud, le quotidien même

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 18 janvier 2017 - 664 mots

À la Fondation Maeght et à l’Espace de l’Art concret, l’artiste, puisant dans un environnement immédiat ou y insérant sa peinture, rafraîchit avec style l’exercice de l’exposition.

SAINT-PAUL-DE-VENCE, MOUANS-SARTOUX (ALPES-MARITIMES) - Un pur moment d’obscénité télévisuelle : en 1995, sur le plateau de feue l’émission culte de Canal « Nulle part ailleurs », Frédéric Taddéï chemine entre quelques œuvres de Pascal Pinaud. Elles sont issues de sa série des « Tôles »,  dont dix exemplaires sont alignés aujourd’hui comme à la parade dans la grande salle de la Fondation Maeght, à Saint-Paul-de-Vence. Désignant cette tôle pour capots remise au format tableau et couverte de laque automobile sur laquelle s’agrègent divers éléments, l’animateur essaye de convaincre l’audience qu’il s’agit bien d’art contemporain, avec pour seul et unique argument que si cela se vend dans une galerie d’art parisienne, c’est que cela en est !

Cette vidéo, présentée en introduction d’une seconde exposition dévolue à l’artiste niçois à l’Espace de l’Art concret, à Mouans-Sartoux (1), est diffusée sur un petit téléviseur posé sur un élégant meuble, dans une salle qui est devenue un petit salon des plus cosy. C’est que les deux accrochages ont opté pour des formats radicalement différents.

À la Fondation Maeght, c’est à une exposition de conception traditionnelle qu’est convié le spectateur. Il y retrouve tout ce qui fait le travail de Pinaud, entre une obsession pour l’abstraction picturale qu’il s’emploie à dénicher un peu partout et une manière de se saisir d’éléments de la vie quotidienne ou puisés dans un environnement immédiat afin de faire œuvre, non sans transformation ; il use ainsi de mines de crayons de couleur noyées sur la toile ou de plaques de matériaux récupérées chez des cuisinistes.

L’art du contre-pied
À l’Espace de l’Art concret, c’est une tout autre musique qui se fait entendre. Le travail est bien là, mais mis en scène – au sens premier du terme – dans la fiction d’un appartement moderne et cossu, avec tout ce que l’espace peut contenir de mobilier, équipement et objets décoratifs. Chaque salle du lieu d’exposition, salon, cuisine, chambres, bureau, réserve, en est devenue une pièce à vivre, dans laquelle sont ici et là dispersées des œuvres de l’artiste. On y retrouve un goût certain pour l’art du contre-pied, avec une mention spéciale pour la cuisine où une surface rose laissant voir la découpe d’un évier apparaît tel un monochrome, et où un tableau n’est autre qu’une grande plaque de métal ayant servi de grill avant d’être redressée sur le mur, avec ses traces de gras et de nourriture.

Cette proposition n’est rien moins que décadente, dans le sens où Pinaud ne s’embarrasse pas des conditions dictées par la bienséance artistique ou l’exercice de l’exposition, qu’il remet complètement en cause. Mais c’est de manière fine que l’artiste parvient à réinstaller la peinture au cœur de l’univers quotidien qui lui a donné forme et contenu. Au-delà du dispositif, de sa qualité et de celle des œuvres, il est frappant de constater à quel point, sinuant sur une ligne de crête qui pourrait à tout moment le faire verser dans le mauvais goût, il se met lui-même en danger – ce qu’amplifie cette émission de Canal qu’il n’a pas craint de ressortir de ses tiroirs. Tout occupé à bousculer les canons et la faisabilité de la peinture, Pinaud n’hésite pas à bouleverser avec un certain brio l’idée de son admissibilité même.

L’exercice aurait pu virer à la farce ou au kitsch pur. Kitsch, il l’est sans doute un peu, mais pour servir la démonstration que penser la peinture peut revenir à en intellectualiser la conception – cela sans renier certaines influences historiques tout en l’inscrivant dans le réel de la manière la plus décomplexée qui soit. Ce n’est pas rien.

Note

(1) Le Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur lui consacrera un troisième accrochage au mois de juillet.

Pinaud

Commissariat : Olivier Kaeppelin pour la Fondation Maeght ; Fabienne Grasser-Fulchéri pour l’Espace de l’Art concret
Nombre d’œuvres : respectivement 216 et 56

PASCAL PINAUD. SEMPERVIVUM

Jusqu’au 5 mars, Fondation Marguerite et Aimé Maeght, 623, chemin des Gardettes, 06570 Saint-Paul-de-Vence, tél. 04 93 32 81 63, www.fondation-maeght.com, tlj 10h-18h, entrée 15 €.

PASCAL PINAUD. C’EST À VOUS DE VOIR…

Jusqu’au 5 mars, Espace de l’Art Concret, château de Mouans, 06370 Mouans-Sartoux, tél. 04 93 75 71 50, www.espacedelartconcret.fr, tlj sauf lundi-mardi 13h-18h, entrée 7 €. Catalogue à paraître.

Légende Photo :
Vue de l'exposition de Pascal Pinaud à l'Espace de l'Art concret, avec dans le salon : Pascal Pinaud, Sans titre, septembre 2008 - septembre 2010, tissu d’ameublement, lycra, canevas contrecollé sur bois, 212 x 200 x 12,3 cm, collection de l’artiste ; Pascal Pinaud, Moulin à prières, juillet 2013, bobines de fil, vernis, acier galvanisé et aluminium, 41 x 41 x 52,5 cm, collection de l'artiste ; Pascal Pinaud, Sans titre, janvier - juillet 2008, medium, bambous, crayons de couleur broyés, fil, clous, cire, 183,5 x 121,5 x 13 cm, collection de l’artiste ; mobilier d'Avio, Piero Lissoni, Eero Saarinen, Achille & Pier Giacomo Castiglioni, galerie Loft, Nice. © Photo : François Fernandez.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°471 du 20 janvier 2017, avec le titre suivant : Pascal Pinaud, le quotidien même

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