Magies noires

Statuaire africaine au Musée Dapper

Par Edith Paillat · Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1997 - 499 mots

Après « Masques », le Musée Dapper enchaîne avec une secon­de exposition annuelle : "Ma­gies". Quelque quatre-vingt-dix statues, appuis-nuque et fétiches montrent les fonctions multiples des pratiques magiques en Afrique. Liés à des rites de guérison et de protection, ces actes mystérieux, aujourd’hui mieux étudiés, se traduisent par une création plastique forte et troublante.

PARIS. En Afrique, la notion de magie se confond souvent avec la sorcellerie et les actes maléfiques. Pourtant, l’équivoque n’est pas justifiée car les pratiques magiques revêtent des significations spirituelles profondes qui font partie intégrante du système social. Les maladies, la sécheresse ou une mort subite, phénomènes "anormaux" du quotidien, ont toujours une origine surnaturelle. Prêtres, guérisseurs et devins jouent alors un rôle de médiateur privilégié entre le visible et l’invisible, un monde réel et un monde inconnu. Hormis son "inquiétante étrangeté", la statuaire africaine sert avant tout de support magique, réceptacle tangible avec l’Au-delà.

Objets de pouvoir
À travers 90 sculptures, l’exposition explore les différentes pratiques, qui englobent non seulement des rituels mais aussi la médecine et la divination. Les célèbres fétiches, statuettes composées de matériaux aussi divers que le bois, les clous, l’argile, le sang, les plumes ou les griffes, incarnent parfaitemment cette efficacité symbolique. Les plus beaux exemples d’"accumulations" insolites se rencontrent principalement en Afrique Cen­trale. Ainsi, au Congo, les petites figurines Teke sont pourvues d’un conglomérat appelé "char­ge magique", alors que les Nkisi du Zaïre portent des objets hétéroclites, tels des miroirs sur l’abdomen. Traductions plastiques du surnaturel, les fétiches interviennent surtout dans le cadre des rites de guérison ou de protection contre les sorciers. Parmi les plus spectaculaires, les Nkonde, animaux et figures humaines hérissés de clous et de lames de métal, offrent une vision saisissante quasi surréaliste. Viennent ensuite les statues d’Afrique de l’Ouest liées aux rites sacrificiels. Certaines provoquent par leur aspect hybride et informe un réel trouble, comme ces puissants singes cynocéphales porteurs de coupes (Baoulé) et une étrange figure Kafi­guélédio (Sénoufo) en plumes et tissu. Clas­sés autrefois objets magiques, ces "objets de pouvoir" – selon la notion anglo-saxonne de power objects – ont été, contrairement à la statuaire classique, laissés de côté par les études sur l’esthétique africaine. En effet, images irréelles et informelles, ni tout à fait humaines, ni tout à fait animales, elles échappent aux classifications habituelles. À côté, les sereines statues féminines Sénoufo et Bambara perdent en "intensité magique", même si la beauté géométrique des formes suggère une "présence" tout aussi forte. Enfin, des accessoires du devin (porteuse d’offrandes Yoruba, Nigeria) et des appuis-tête, supports à oracle ou oniriques, illustrent des pratiques divinatoires complexes. Utilisée largement en Afrique, la divination présida même au destin du roi Glélé (XIXe siècle), l’un des souverains du Dahomey dont la mémoire est rappelée par des objets prestigieux en ivoire, laiton et argent.

MAGIES, jusqu’au 29 septembre, Musée Dapper, 50 avenue Victor Hugo, 75116 Paris, tél. : 01 45 00 01 50, tlj 11h-19h. Catalogue collectif, édition Dapper, 272 p., 138 ill. couleurs, 170 F et 295 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : Magies noires

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque