Art moderne

Strasbourg (67)

Loutherbourg presque parfait

Musée des beaux-arts – palais Rohan - Jusqu’au 18 février 2013

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 22 janvier 2013 - 327 mots

C’est une chose d’être audacieux. C’en est une autre d’être en même temps pertinent. Et les temps modernes savent combien la marche haute est souvent glissante. Or, le Musée des beaux-arts de Strasbourg, en exhumant le peintre Philippe Jacques de Loutherbourg (1740-1812), parvient à conjuguer la témérité avec la clairvoyance, la crânerie avec la cervelle. Exemplaire.

L’oubli dans lequel tomba Loutherbourg est à l’image de l’éclat qui, avant-hier encore, était le sien – immense. Un éclat compréhensible à qui veut considérer la trinité esthétique du peintre : la virtuosité, qui le conduit de l’atelier de François Joseph Casanova à l’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris (Un paysage avec figures et animaux, 1763) ; la facilité, qui le voit conquérir immédiatement Londres, à coups de paysages implacables, entre Flandres et Italie, entre Ruysdael et Rosa (Paysages avec troupeau et figures, 1781) ; la fluidité, qui le fait passer de la mécanique picturale à des dispositifs scéniques, ainsi ces décors de théâtre qui paraissent seuls résumer la tension d’une œuvre, entre sens du détail et hauteur de vue, microcosme vétilleux et macrocosme océanique.

À l’aise avec les problèmes d’échelle, Loutherbourg sut livrer de grandes machines dont l’exposition, par son élégante scénographie, souligne doctement la puissance suggestive (La Bataille du Nil, 1800). Évidemment, cette dextérité passa pour versatilité chez un homme né à Strasbourg d’un père lituanien et formé par un peintre transalpin imitant les Hollandais. Cette plasticité passa pour malléabilité, à la veille d’un romantisme intransigeant et souvent amnésique. Anathème rapide, procès inique. C’était oublier que dans les paysages de Loutherbourg tonnent les orages, brûlent les feux et s’effondrent les montagnes (Une avalanche de glace dans les Alpes, 1803), quand derrière l’anecdote palpite le Sublime, quand sous la manière vibre l’esprit. Une peinture moins huilée qu’il n’y paraît, quand la beauté tempétueuse craquèle le vernis du monde.

Voir « Loutherbourg. Tourments et chimères »

Musée des beaux-arts, palais Rohan, 2, place du Château, Strasbourg (67), www.musees.strasbourg.eu

Voir la fiche de l'exposition : Loutherbourg

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°654 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Loutherbourg presque parfait

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