Leighton in extremis

L’exposition de la Royal Academy de Londres a failli être annulée

Par Roger Bevan · Le Journal des Arts

Le 1 mars 1996 - 680 mots

Cette commémoration du centenaire de la mort de Frederick Leighton, à la Royal Academy de Londres, fera date. À double titre : en raison de la qualité des œuvres sélectionnées mais aussi des péripéties qui ont émaillé sa préparation. L’absence de mécènes a failli avoir raison de l’entreprise, jusqu’à ce que Richard Ormond, l’un des commissaires de l’exposition, mobilise ses collaborateurs pour trouver les fonds indispensables… et décide de participer personnellement au financement de la rétrospective !

LONDRES (de notre correspondant) - Les carrières de Millais et de Burne-Jones, de même que celles d’autres préraphaélites ou d’artistes victoriens comme Whistler, ont fait l’objet d’études approfondies, ces dernières années, alors que l’œuvre de Frederick Leighton (1830-1986) n’avait pas été exposée depuis la rétrospective de la Royal Academy… en 1897.

De nos jours, seule la présence d’un certain nombre de ses œuvres, aux côtés d’Albert Moore, George Frederick Watts et Alfred Gilbert, dans l’exposition consacrée à la Haute Renaissance de l’ère victorienne par le Walker Art Center de Minneapolis, puis la Manchester City Art Gallery, en 1978, est venue corriger l’impression de désintérêt général à l’égard de son art, qui a bien failli conduire à l’annulation de l’actuelle exposition (lire encadré).

La rétrospective d’aujourd’hui est due à la collaboration de quatre spécialistes, parmi lesquels Richard Ormond, le directeur du National Maritime Museum, qui a présidé le comité de sélection et a été, en 1975, le co-auteur de la première étude moderne sur l’œuvre de Leighton ; Christopher Newall, qui a consacré une autre monographie à Leighton, en 1990 ; Stephen Jones, l’actuel directeur de Spencer House, qui dirigeait auparavant Leighton House, la demeure que l’artiste avait fait construire sur Holland Park Road, en 1864-1866 ; et Benedict Read, de la Fondation Henry Moore, à Leeds, qui a rejoint l’équipe au moment où l’exposition commençait à prendre tournure.

Ensemble, ils ont choisi, par ordre chronologique, soixante des grandes peintures qui ont fait la réputation de Leighton, depuis la Madone de Cimabue portée en procession à Florence, un gigantesque tableau – acheté par la Reine – qui a permis à l’artiste de se faire connaître du public londonien, à la Royal Academy en 1855, jusqu’à Flaming June, présenté en 1895 au Salon de cette même académie.

Flaming June marque le point culminant des recherches de Frederick Leighton. Dès son retour à Londres en 1859, après des études à Francfort, Rome et Paris, Leighton avait déjà pour préoccupation "l’art sans sujet". Aux yeux de Christopher Newall, l’apport le plus significatif de Leighton réside dans le fait de se dispenser d’un récit conventionnel ou d’un sujet littéraire : "Dans l’histoire de l’art britannique, la perception qu’a eue Leighton de la peinture transcendant son rôle documentaire est une découverte aussi importante que la révolution attribuée au groupe des préraphaélites, et d’une certaine manière, c’est une révolution plus durable que la leur."

Toujours dans le cadre de la commémoration du centenaire de la disparition de Frederick Leighton, le Victoria & Albert Museum a restauré les deux vastes fresques, Les arts industriels appliqués à la Paix et à la Guerre, que le peintre a conçues pour les lunettes de la cour Sud du musée.

Richard Ormond, sauveur de Leighton

À la fin du mois d’août 1995, alors qu’une sélection de toiles avait déjà fait l’objet d’un accord, que des négociations pour leur prêt étaient engagées et les essais du catalogue rédigés, la Royal Academy n’était toujours pas parvenue à trouver un mécène. Le conseil des académiciens, craignant que l’exposition ne rencontre pas auprès du public un succès suffisant pour couvrir les coûts, était sur le point de voter contre la réalisation du projet : il fallait trouver 150 000 livres (1,15 million de francs) avant la fin novembre. Richard Ormond déclarait aussitôt qu’il renonçait à toute rémunération et se mettait, avec ses collègues, immédiatement en quête de souscripteurs. Christie’s, qui avait assuré la dispersion posthume des œuvres de Leighton, fournissait 35 000 livres (270 000 francs), soit la plus importante donation recueillie par les commissaires. Des collectionneurs privés, Ormond lui-même, et d’autres amateurs d’art victorien apportaient le complément, permettant ainsi de sauver l’exposition.

RÉTROSPECTIVE FREDERICK LEIGHTON, Royal Academy, Londres, jusqu’au 21 avril. Catalogue, Frederick, lord Leighton, Eminent Victorian Artist, avec des textes de Richard Ormond, Leonée Ormond, Christopher Newall, Stephen Jones et Benedict Read.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°23 du 1 mars 1996, avec le titre suivant : Leighton in extremis

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