Le verre dans tous ses états

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 novembre 2006 - 920 mots

Du luxe à l’art sacré, en passant par l’architecture, le verre pétille tout au long de l’exposition champenoise, mais aussi dans les différents bâtiments phares de la ville. Petite visite guidée...

Malgré un prêt de meubles issus du Mobilier national, le verre reste l’élément dominant, mieux, le liant de l’exposition. Décliné du séculier au sacré, jouant à la fois sur la tradition et l’innovation, ce matériau scande chaque chapitre. Aux côtés de créateurs du cru, d’autres comme René Lalique (1860-1945) s’invitent en guest star.

Avec l’église Saint-Nicaise, Lalique renouvelle l’art du vitrail
Originaire du village vinicole d’Aÿ, sur les hauteurs de Reims, Lalique est habituellement perçu comme un artisan parisien. Connu pour ses bijoux Art nouveau qui avaient séduit l’homme d’affaires portugais Calouste Gulbenkian, puis par sa production cristallière d’après-guerre, il n’en reste pas moins une figure familière des Champenois.
L’industriel et philanthrope Georges Charbonneaux, dont la famille avait fait fortune dans le verre, possédait ainsi l’une des plus grosses collections en mains privées de ses pièces moulées
à la cire perdue. Les descendants de Charbonneaux prêtent d’ailleurs à l’exposition plusieurs pièces représentatives de l’évolution stylistique du verrier. On passe ainsi de la stylisation d’un vase
Sauterelles en verre blanc soufflé-moulé (1912) à la géométrisation d’une coupe aux Poissons de 1927. Comme le rappelle Jean-Luc Olivié dans le catalogue de l’exposition, la monochromie de Lalique le distingue des polychromies parfois doucereuses de ses contemporains.
À titre de document, on retrouve aussi la photographie d’une vitrine aux serpents, connue jusque dans les années 1960-1965 et depuis mystérieusement volatilisée. Pour faire le lien avec l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925 à Paris, où Reims se fit discrète, les commissaires ont aussi obtenu le fragment de la porte d’honneur conçue par Lalique et, depuis, conservée au musée des Arts et métiers.
À Reims, le talent de Lalique s’est moins exprimé auprès d’une clientèle bourgeoise que dans le quartier populaire du Chemin-Vert. Georges Charbonneaux, qui souhaitait promouvoir ce
périmètre ouvrier, édifia en 1923 l’église Saint-Nicaise. Il fit appel à Lalique pour la réalisation de cinq des grandes baies de la nef et de six petites du transept. Le verrier, qui s’attellera à des ensembles monumentaux pour les paquebots Paris, Ile de France et Normandie, réalise là sa première commande pour un édifice religieux. Lalique étrenne pour l’occasion la technique du verre moulé, une première dans la fabrication des vitraux. Fondamental dans l’aménagement des paquebots, l’éclairage joue dans le sanctuaire un rôle encore plus déterminant.
Les lampes cruciformes et tout particulièrement un spécimen en verre moulé translucide représentant la Colombe du Saint-Esprit jouent une carte intimiste. De leur côté, les dalles de verre sculptées d’anges diffusent une lumière jaune extrêmement douce. « Le thème de l’ange constitue souvent dans l’œuvre de Lalique un pôle archaïsant, un motif désincarné, une pure abstraction pour cet homme de passions charnelles et de sensualité, réputé anticlérical, mais qui a su donner une lumineuse modernité à de nombreux édifices religieux », rappelle Jean-Luc Olivié.
Le renouveau qu’apporte Lalique à la tradition du vitrail se perçoit d’ailleurs chez certains de ses confrères, notamment Jean Hébert-Stevens. Dans les cinq vitraux réalisés pour le Village français dans l’exposition de 1925, celui-ci s’est visiblement dégagé du répertoire saint-sulpicien alors en vogue.

La bibliothèque Carnegie, fleuron des bâtiments rémois
L’empreinte de Lalique à Reims tend à éclipser celle de Jacques Simon, pourtant héritier d’un atelier établi dès le xviie siècle. En 1917, Simon sauve les vitraux de la cathédrale de Reims, en les déposant en urgence sous les bombardements. Il œuvrera d’ailleurs toute sa vie à la restauration des vitraux.
Son atelier ne se cantonne pas à la sphère religieuse, mais s’exerce aussi dans l’architecture civile. Il apparaît ainsi dans l’exposition via un vitrail réalisé pour l’Automobile Club de Reims en 1928, la porte d’un hôtel particulier rémois, mais aussi les dessins préparatoires du lustre du hall d’entrée de la bibliothèque Carnegie.
Fleuron de l’Art déco rémois, ce bâtiment construit entre 1921 et 1928 a connu d’autres apports célèbres. C’est au maître de l’École de Nancy, Jacques Grüber (1870-1936), que l’on doit la grande verrière de la salle de lecture. Sa présence dans cette exposition surprend toutefois car le verrier s’est surtout distingué par ses créations Art nouveau. À l’affiche, dès les prémisses de l’exposition, sans doute témoigne-t-il d’une continuité entre le style 1900 et l’Art déco.
Pour soutenir la thèse d’un chevauchement des styles, un autre verrier lorrain, Antonin Daum (1864-1930), est aussi appelé en renfort à l’orée du parcours. Si celui-ci apparaît avec trois objets en verre, Grüber doit, lui, se contenter de simples cartons. La section dédiée au luxe révèle d’ailleurs d’autres cartons réalisés cette fois pour le casino d’Ilbarritz. Quel lien avec Reims ? Il est on ne peut plus élastique ! Ici comme ailleurs, l’exposition joue sur deux niveaux, entre un effet de loupe rémois et un grand-angle national.
Un exercice sans doute nécessaire pour inscrire Reims dans la généalogie de l’Art déco.

Repères

1914 Des obus incendiaires ravagent la cathédrale. 1918 Sur les 14 150 maisons recensées avant la guerre, 60 sont habitables au lendemain de l’armistice. 1920 Georges B. Ford, architecte et urbaniste new-yorkais, élabore le plan de reconstruction de la ville. 1920–1924 La cité-jardin du Chemin-Vert est réalisée par les architectes Auburtin et Dufay-Lami. 1928 Débutée en 1921, la construction de la bibliothèque Carnegie de l’architecte rémois Max Sainsaulieu s’achève. 1930 Sur les 6 500 permis de construire instruits par la mairie, les trois quarts portent la signature d’un homme de l'art. 1934 Construction de l’église Saint-Nicaise (Lalique, Maurice Denis).

Autour de l’exposition

Informations pratiques L’exposition « Années folles, années d’ordre : l’Art déco de Reims à New York » se déroule du 14 octobre 2006 au 11 février 2007, tous les jours sauf le mardi de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h, tarif : 3 €. Musée des Beaux-Arts, 8, rue Chanzy, Reims (51), tél. 03 26 47 28 44, www.reimsartdeco.fr Office du tourisme de Reims : tél. 03 26 77 45 00

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°585 du 1 novembre 2006, avec le titre suivant : Le verre dans tous ses états

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