Art non occidental - Histoire

HISTOIRE CULTURELLE

Le Quai Branly s’interroge sur l’héritage intellectuel et politique de Senghor

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 24 mars 2023 - 645 mots

PARIS

Une riche exposition retrace, en dépassant l’aspect biographique, l’apport de Léopold Ségar Senghor à l’histoire des arts africains et à leur promotion au-delà du continent.

Paris. De religion catholique, Léopold Ségar Senghor (1906-2001) aimait à rappeler ses origines peule et malinké, deux ethnies d’Afrique de l’Ouest. Anticolonialiste, il étudia en France, y fut élu député, puis devint le premier président du Sénégal indépendant. Son parcours atypique jusqu’aux années 1970 structure l’exposition du Musée du quai Branly, qui souligne les traits marquants de sa pensée. Car pour la co-commissaire, Sarah Ligner, il s’agit de montrer « l’importance de la culture dans l’action politique de Senghor, et non d’une démarche biographique ». Senghor est d’ailleurs peu représenté ici en dehors de documents d’archives, même si sa figure transparaît partout dans le parcours, en particulier dans la salle consacrée à ses poèmes illustrés. Le fonds de l’exposition provient d’une donation de Gérard Bosio, ancien conseiller culturel de Senghor : culture et diplomatie sont donc entremêlées.

Littéraire de formation, Senghor s’engagea tôt en politique, et comprit que la culture pouvait être un outil d’émancipation. Il fréquenta les artistes de l’école de Paris et s’adonna à la critique d’art, tout en publiant des recueils de poésie encore lus aujourd’hui. Le recueil Hosties noires (1948) donne ainsi son titre à deux œuvres contemporaines qui ouvrent l’exposition.

Léopold Sédar Senghor (1906-2001). © Roger Pic, 1975, domaine public
Léopold Sédar Senghor (1906-2001).
© Roger Pic, 1975

Devenu président du Sénégal en 1960, Senghor mit en œuvre une ambitieuse politique culturelle. L’exposition montre la création de la manufacture de tapisserie de Thiès en 1966, celle de nombreux festivals et du Théâtre national dès 1965. Il s’agit pour Senghor de mettre en pratique sa pensée sur la place des arts africains dans l’histoire : le premier Festival mondial des arts nègres, en 1966 à Dakar, marque le commencement d’une diplomatie d’influence. C’est à cette occasion que Senghor fit construire le Musée Dynamique, où étaient exposées des pièces africaines venues de plusieurs pays. Senghor militait pour « une reconnaissance internationale des arts africains », rappelle la commissaire, et les expositions de 1966 mirent aussi à l’honneur des artistes contemporains comme Iba N’Diaye.

À cheval entre négritude et universalité

Dans les années 1970, Senghor continua à organiser de grandes expositions à l’étranger, notamment en France au Grand Palais, en 1974. Mais il permit aussi à des artistes vivant en France de venir exposer à Dakar, dont Picasso et Pierre Soulages, « qui vint en personne au vernissage de son exposition », précise Sarah Ligner. Senghor entretenait de solides relations avec les artistes français grâce à son séjour dans l’Hexagone, comme en attestent les auteurs des illustrations de ses poèmes : Marc Chagall, Alfred Manessier, Hans Hartung, Zao Wou-ki. Les documents exposés soulignent d’ailleurs la complexité de la pensée de Senghor, à cheval entre Sénégal et France, entre négritude et universalité. Pour Sarah Ligner, « Senghor a proposé une redéfinition de l’universel en s’inspirant de la formule d’Aimé Césaire : “le rendez-vous du donner et du recevoir” ». Cette notion aurait peut-être dû être développée plus en détail ici. Car les années 1960 et 1970 ont vu s’affronter différentes visions du panafricanisme et de la politique, notamment sur le rôle de l’État dans la culture. Des archives rappellent ainsi que l’artiste Issa Samb s’opposa à Senghor en 1974, au point de « brûler toutes ses toiles prévues pour l’exposition à Paris », précise la commissaire. La politique de Senghor suscite en effet de nombreuses critiques que l’exposition ne fait qu’effleurer.

Senghor est-il toujours une référence en Afrique ? Si le panafricanisme est passé de mode, les jeunes artistes africains s’inspirent encore de sa pensée, et réexaminent la négritude à travers le prisme des études postcoloniales. Et le Sénégal reste marqué par les institutions que l’homme d’État a créées, en particulier dans l’architecture, même si le grand quartier culturel qu’il souhaitait n’est jamais sorti de terre. Le Musée des civilisations noires, inauguré en 2018 à Dakar, semble préfigurer un renouveau culturel, une lointaine filiation avec Senghor.

Senghor et les arts,
jusqu’au 19 novembre, Musée du quai Branly-Jacques Chirac, 37, quai Branly, 75007 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°607 du 17 mars 2023, avec le titre suivant : Le Quai Branly s’interroge sur l’héritage intellectuel et politique de Senghor

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