Art ancien

XIXE SIÈCLE

Le moment danois

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 14 octobre 2020 - 780 mots

PARIS

Au XIXe siècle, pendant une période de soixante ans, le Danemark a connu une période de créativité exceptionnelle, que le Petit Palais qualifie d’« âge d’or de la peinture ».

Paris. En France, les deux dernières grandes expositions sur ce que l’on dénomme « l’âge d’or de la peinture danoise » remontaient aux années 1984-1985, et avant cela à 1928. C’est dire si la présentation du Petit Palais, qui se préparait depuis plusieurs années avec le Musée national d’art (SMK) du Danemark à Copenhague et le Musée national de Stockholm, en Suède, était attendue. Près de 200 œuvres ont fait le déplacement pour ce survol d’une période en pleine réévaluation internationale, grâce notamment aux recherches de Kasper Monrad, décédé en 2018. Cette présentation thématique de la période 1801-1864, menant le visiteur dans les ateliers des artistes, ceci d’Italie jusqu’en Scandinavie, et des intérieurs bourgeois aux rues animées de Copenhague, réussit à montrer en même temps le cadre historique de cet âge d’or et ses enjeux esthétiques. Les nombreux essais publiés dans le catalogue permettent d’approfondir la mise en contexte d’un art à la fois national et nourri d’échanges internationaux, avec la France et l’Allemagne notamment.

À Rome, une communauté artistique danoise

Le début du parcours rend hommage à Christoffer Eckersberg (1783-1853), qui, après des études à Copenhague et à Paris (dont un an dans l’atelier de David), est parti à Rome où séjournait une importante colonie d’artistes danois attirés par la présence du sculpteur néoclassique Bertel Thorvaldsen (1770-1844). Surdoué, Eckersberg a eu un double mérite : il a saisi l’importance de peindre en plein air lors de son séjour à Rome de 1813 à 1816 et, à son retour, a entrepris de réformer les études à l’Académie des beaux-arts de Copenhague où il était professeur. Dans son enseignement, l’un de ses préceptes était que les artistes devaient représenter ce qu’ils avaient sous les yeux, quelle que soit la trivialité du sujet, avec une grande attention portée aux détails et à la lumière. Eckersberg personnifie aussi le grand changement du marché de l’art à son époque. La peinture d’histoire qui était destinée aux églises, aux hauts fonctionnaires et à la Cour perd alors de son importance au profit des goûts et des commandes d’une bourgeoisie montante : portraits, paysages, scènes de genre. Au début du XIXe siècle, l’époque est à l’incertitude : l’Angleterre est à l’affût de toutes les occasions d’affaiblir le Danemark, prétextant le soutien du pays à Napoléon, mais surtout elle est désireuse d’avoir un accès à la Baltique. Dans le catalogue, le conservateur Henrik Holm (SMK) rappelle aussi la sourde guerre commerciale centrée sur les Antilles – dans la partie danoise, l’esclavage n’a été aboli qu’en 1848. Par réaction à cet environnement anxiogène, amplifié par les mouvements de sécession des provinces germanophones du Sud, les Danois se sont repliés sur une identité scandinave célébrée par la peinture dans le paysage et les portraits de famille.

Virtuosité, empathie, humour : les qualités des peintres danois font merveille. Le réalisme dont ils sont pétris donne tout au long de la période des portraits d’enfants admirables, comme celui de sa fille Émilie (1827) par Eckersberg – en deuil de sa mère, elle a les yeux pleins de larmes – ou Petite fille, Élise Købke avec une tasse (1850) de Constantin Hansen (1804-1880). Dans Un groupe d’artistes danois à Rome (1837), le même Hansen s’est représenté avec six de ses amis dans un appartement au balcon ouvert sur les toits et la campagne. Encadrant la scène, deux personnages seulement ont pris place sur des chaises : le peintre lui-même et son chien.

Les paysages destinés aux salons bourgeois étaient composés en atelier d’après des petits tableaux peints en plein air. Mais ces petites œuvres qui nous séduisent aujourd’hui étaient connues des artistes et des amateurs et souvent prises pour exemple par les élèves de l’Académie. Les versions d’atelier conservent la lumière du plein air et bénéficient des cadrages qui font la spécificité de cette école de Copenhague et nous étonnent par leur modernité. Dankvart Dreyer (1816-1852) a ainsi peint une Étude de premier plan avec une pousse d’oseille (1840-1849) ; on retrouve cette plante à hauteur d’œil dans Paysage du Sjælland. Campagne dégagée au nord de l’île (1842) de Johan Thomas Lundbye (1818-1848). Ce dernier, dans Chemin creux près de Frederiksværk (1837), superpose les plans comme le feront les post-impressionnistes. À la vue de ces paysages, on se souvient que Camille Pissarro, Danois de naissance, a appris la peinture auprès des frères Fritz (1826-1896) et Anton (1818-1875) Melbye, ce dernier ayant été l’élève d’Eckersberg. Une filiation entre l’impressionnisme et l’âge d’or danois que le musée danois Ordrupgaard a mise en évidence dans une exposition en 2017.

L’âge d’or de la peinture danoise, 1801-1864,
jusqu’au 3 janvier 2021, Petit Palais, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°553 du 16 octobre 2020, avec le titre suivant : Le moment danois

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