Cinéma

XXE SIÈCLE

Le cinéma se fait une toile au Musée des beaux-arts de Rouen

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 16 janvier 2020 - 687 mots

Le parcours évoque d’un point de vue didactique les rapports fructueux entre les arts plastiques et le cinéma.

Rouen. Le cinéma de nos jours ne se montre plus uniquement dans les salles obscures. À Nice, le Musée Matisse s’est récemment transformé en « Cinématisse » pour explorer les liens entre le peintre et le cinéma. À Nantes et à la Philharmonie de Paris, c’est Charlie Chaplin qui est à l’affiche [respectivement jusqu’au 3 février et 26 janvier] ; au Centre Pompidou-Metz, Sergueï Eisenstein [jusqu’au 24 février]. Qui plus est, le film est devenu l’un des objets privilégiés des plasticiens, et se retrouve au cœur de nombreuses installations. L’exposition du Musée des beaux-arts de Rouen, montée en partenariat avec la Cinémathèque française, a fait le choix d’une perspective historique. Un projet ambitieux qui, selon les commissaires Sylvain Amic, Joanne Snrech et l’incontournable Dominique Païni, « en mêlant extraits de films, peintures, sculptures, photographies, affiches, costumes, dessins, maquettes, permettra d’apprécier les relations que les artistes du XXe siècle nouèrent avec l’art des images en mouvement ». Images en mouvement car, depuis toujours, la volonté d’animer l’image est un rêve artistique.

Avant la naissance du 7e art, des silhouettes d’hommes et de femmes « couraient » le long des parois des grottes ou sur les surfaces courbes de vases d’argile. Il fallut toutefois attendre les années 1880 pour assister à la naissance de la chronophotographie, inventée presque simultanément par l’Anglais Eadweard Muybridge et le Français Étienne Jules Marey. Cette technique crée une illusion de mobilité en décomposant les phases d’un mouvement grâce à une succession de prises de vue. Quelques années plus tard, en 1895, a lieu la première projection des frères Lumière à Paris. L’exposition débute par le rapprochement, discutable, entre ces pionniers du cinéma et l’impressionnisme. En revanche, la porosité entre la peinture cubiste et le cinéma est frappante. La division de l’objet, l’organisation des facettes sur la surface, la juxtaposition des zones d’ombre et de lumière trouvent leur équivalent dans la succession des plans et des séquences cinématographiques. Sans surprise, c’est Charlot, ses gestes hachés, son rapport à la modernité et en particulier à la machine que les cubistes admirent le plus. Léger, qui devient pour un temps metteur en scène, réalise un pantin à l’effigie de ce mime génial pour le générique du film Ballet mécanique (1924).

Un riche chapitre russe

Le parcours chronologique suit les différents mouvements artistiques de manière très didactique. Ainsi le chef-d’œuvre du cinéma expressionniste, Le Cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1919), qui dépeint un univers clos et ses ruelles interminables et labyrinthiques, semble s’inspirer directement des représentations de la ville par George Grosz ou Ernst Ludwig Kirchner. Harry Graf Kessler, le directeur du Musée des beaux-arts de Weimar à l’époque, ne se trompe pas en décrivant en 1918 l’expressionnisme comme « un art très nerveux, cérébral, illusionniste qui, à cet égard, rappelle le music-hall mais aussi le cinéma, ou du moins un cinéma encore possible, pas encore réalisé ».

Particulièrement riche est le chapitre sur le cinéma russe après la révolution d’Octobre. Y sont évoqués Dziga Vertov et le futurisme, connu grâce aux conférences de Marinetti, et les références iconographiques du réalisateur Sergueï Eisenstein. Y figurent aussi les splendides affiches de cinéma, réalisées selon les principes de l’esthétique constructiviste. Ailleurs, l’expérimentation abstraite picturale se prolonge dans un cinéma qui renonce à la narration et traduit sur la pellicule des rythmes plus ou moins rapides : Hans Richter ou Léopold Survage (Rythmes colorés : études pour le film, 1913). plus loin, le surréalisme, en libérant l’imaginaire, offre un champ particulièrement fertile aux cinéastes – voire la rencontre exceptionnelle entre Luis Buñuel et Salvador Dalí autour d’Un chien andalou (1929).

Plus étonnante est la section qui montre la fascination de la Nouvelle Vague pour les arts plastiques : Matisse, le pop art avec Marilyn dont l’image est partout, ou même le bleu singulier d’Yves Klein. Enfin, ce sont les peintres qui deviennent acteurs en se laissant filmer pendant leur activité créatrice, à l’instar de Picasso, Pollock… Un arrêt sur image ou une mise en scène soignée ? « Vérités et Mensonges », peut-être, pour reprendre le titre du célèbre film d’Orson Welles.

Arts et cinéma, les liaisons heureuses,
jusqu’au 10 février, Musée des beaux-arts, esplanade Marcel-Duchamp, 76000 Rouen.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°537 du 17 janvier 2020, avec le titre suivant : Le cinéma se fait une toile au Musée des beaux-arts de Rouen

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