Photographie

Le chant des luttes de Bruno Serralongue

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 2 mars 2022 - 645 mots

Du Chiapas à Calais, le photographe documente les luttes sociales à travers des portraits. Un travail au long cours, engagé et incarné.

Paris. Les luttes sociales ont des visages autant que des slogans. Elles sont portées par des hommes et des femmes que Bruno Serralongue photographie depuis près de trente ans. Florange, Notre-Dame-des-Landes, Calais, « racisme environnemental » aux États-Unis ou destruction du foyer de travailleurs à Saint-Ouen pour préparer les Jeux olympiques de 2024 : si tous ses travaux sur les luttes s’inscrivent dans une actualité couverte par les médias, ils s’en démarquent par leur inscription dans un temps long, une certaine confidentialité et une démarche documentaire et plasticienne.

Libre dans le choix de ses sujets, Bruno Serralongue n’a jamais dévié de sa route. Depuis « Feux de camp » présenté au Jeu de paume en 2010, aucune grande exposition ne lui avait été consacrée, excepté les focus organisés par sa galerie Air de Paris ou celui sur Calais par Florian Ebner à la galerie de photographies du Centre Pompidou. L’exposition « Pour la vie » que signe, en duo avec l’artiste, Xavier Franceschi, le directeur du Fonds régional d’art contemporain d’Île-de-France (Frac), revêt donc le double intérêt de revenir sur un travail radical, mais aussi sur des conflits pour certains toujours en cours. Toutefois, il s’agit moins d’une rétrospective que d’un chant de luttes, au sens des grands poèmes épiques incarnés par des personnes menant une lutte collective contre des atteintes à leurs conditions de vie. L’organisation de l’exposition en cette période électorale et de tensions sociales ne doit à cet égard rien au hasard.

À chaque portrait, sa lutte

Le titre polysémique « Pour la vie », choisi par Bruno Serralongue, donne le ton du parcours, comme la photographie du défilé éponyme placée en ouverture, réalisée le 29 mai 2021 lors de l’étape à Paris du « Voyage pour la vie » organisée par les zapatistes à travers l’Europe. « Je trouvais le titre parfait pour une exposition où il n’est question que de personnes en lutte pour leur vie, parfois pour leur survie », explique le photographe. Dans les espaces du Frac, les portraits posés racontent, chacun, une histoire de lutte et de conflit, et affirment une présence. Serralongue ne recourt pas à la représentation traditionnelle de la lutte par la thématique de la manifestation et de l’affrontement. À moins qu’elle ne prenne une forme originale, comme ce diaporama de 690 photographies de manifestations contre la réforme des retraites du gouvernement Juppé, en décembre 1995 et janvier 1996, projetées chacune durant quarante minutes. Pour aborder les conflits sociaux, Bruno Serralongue préfère le portrait de personnes et de communautés précises. « Ces images de luttes sont aussi en lutte », explique-t-il, en lutte contre les images spectaculaires devenues trop médiatiques, réductrices et manipulables.

C’est à partir de ce que le photographe a vécu au Chiapas, au sud-est du Mexique en 1996, lors de la « rencontre intergalactique contre le néolibéralisme et pour l’humanité » organisée par l’Armée zapatiste de libération nationale, que s’est construit son travail, comme le rappelle une photographie d’Indiens zapatistes de cette époque, visible dans l’exposition. « Depuis lors, la tâche que je me suis donnée est de prendre part à la construction de l’image de communautés en lutte dans lesquelles je m’insère », rappelle-t-il dans le journal de l’exposition. « Aujourd’hui, je dirai que je suis avant tout un citoyen engagé. Et là où je m’engage, j’emmène mon appareil photographique. Mais ça a plutôt commencé en sens inverse. C’est bien à la pratique de la photographie que je dois d’avoir rejoint des luttes politiques et sociales, en France comme à l’étranger », dont l’exposition se fait le porte-voix, comme les rares ouvrages publiés.

L’absence de texte d’introduction, de cartels aux murs, de repères immédiats, et le choix de mélanger les sujets dans l’accrochage ne rendent toutefois pas toujours aisée la lecture, même si le journal fort complet de l’exposition remis gratuitement à l’entrée du Frac donne beaucoup d’explications.

Bruno Serralongue. Pour la vie,
jusqu’au 24 avril, Frac Île-de-France, Le Plateau, 22, rue des Alouettes, 75018 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : Le chant des luttes de Bruno Serralongue

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