Art moderne

L’Almanach de Babel

Lam, Villeneuve d’Ascq (59) – Jusqu’au 29 janvier 2023

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 3 janvier 2023 - 504 mots

Exposition -  Un Almanach de l’art brut, quelle idée lumineuse ! Le 10 mai 1948, André Breton rencontre pour la première fois Jean Dubuffet, qui lui propose de s’associer à la Compagnie de l’art brut qu’il est en train de fonder avec d’autres.

Non seulement Breton accepte, mais il lui suggère encore l’idée de publier un almanach pour faire connaître ce mouvement artistique. Les deux nouveaux amis entreprennent alors de construire un ouvrage ambitieux de 224 pages et 128 illustrations, inspiré par les almanachs populaires, structurés en douze mois, alternant calendrier des saints, monographies, chroniques… et même conseils pratiques, prodigués sous le titre « Peinturez hardi ». Las, l’almanach ne vit jamais le jour. Il faut dire que ni le chantre du surréalisme ni le théoricien de l’art brut n’avaient un caractère facile, et, face à la difficulté de trouver une langue et une esthétique communes, l’entreprise s’acheva par une brouille. L’ensorcelante exposition « Chercher l’or du temps » réconcilie au Lam ces deux nerveux, dont on peut penser qu’ils appartenaient à « cette famille magnifique et lamentable qui est le sel de la terre », selon le mot de Marcel Proust, qui en faisait lui-même partie : ils s’employèrent tous deux à chercher l’or du temps non dans les œuvres sucrées de l’intelligence, mais dans l’excitation des nerfs, l’exaltation de la sensibilité, du regard, dans la folie, dans les rêves de ceux qui se couchent de bonne heure dans la beauté convulsive. Fruit d’un important travail de recherche, « Chercher l’or du temps » retrace la quête des surréalistes et des défenseurs de l’art brut, qui aurait dû trouver son accomplissement dans cet almanach, dont de nombreuses œuvres ont pu être réunies dans une merveilleuse section dédiée à ce projet utopique. Construit en douze temps, comme les douze mois de l’année, le parcours déroule une histoire de la création artistique du XXe siècle qui met au jour les convergences du surréalisme, de l’art brut et de leurs prolongements (art naturel ou art magique), de 1919, date des Champs magnétiques par André Breton et Philippe Soupault, à 1969, quand le Palais du Facteur cheval fut classé au titre de monument historique. À travers près de 400 pièces, où des « maîtres schizophrènes » anonymes peuvent devenir compagnons de cordée d’un Max Ernst, se dessine la quête commune d’artistes, de penseurs, de poètes et de créateurs et créatrices autodidactes pour inventer un art affranchi des hiérarchies, poncifs esthétiques et de l’asphyxiante culture, puisant sa source dans les battements du cœur et l’or des rêves pour affranchir l’art des lois de la raison et de l’apesanteur. Le visiteur redécouvre les dessins automatiques de Robert Desnos, qui entrent en résonnance avec les œuvres de Fernand Desmoulin, qui croyait sa main guidée par les esprits, comme il admire avec un regard neuf les sculptures d’Auguste Forestier ou les broderies de Marguerite Sirvins, internés à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban, qui intéressèrent Paul Éluard avant d’intégrer la collection de Dubuffet. On parcourt ainsi cette exposition comme on explore un chantier, un territoire alchimique, une folle aventure commune, avant la colère de Dieu.

« Chercher l’or du temps »,
Lam, 1, allée du Musée, Villeneuve d’Ascq (59), www.musee-lam.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°761 du 1 janvier 2023, avec le titre suivant : L’Almanach de Babel

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