Art contemporain - Art moderne

XIXE-XXE SIÈCLES

La tête dans les étoiles

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 31 octobre 2018 - 728 mots

METZ

Le Centre Pompidou-Metz propose une déambulation nocturne parmi des œuvres en relation avec l’obscurité pour évoquer la perception de la nuit dans l’art depuis le XIXe siècle.

Jan Sluijters, Maanacht IV
Jan Sluijters, Maanacht IV, 1912, huile sur toile, Museum Voorlinden Wassenaar
© Jan Sluijters

Metz. Peindre la nuit n’a rien d’évident. Certes, l’exercice n’est pas nouveau et on connaît de nombreuses toiles qui, dès la Renaissance, représentaient des épisodes nocturnes, bibliques ou mythologiques, afin d’obtenir un effet dramatique. Cependant, une remarque s’impose immédiatement au sujet de la distinction entre nuit et obscurité. La nuit restera toujours un phénomène naturel, cyclique, tandis que l’obscurité, cette simple opacité de la lumière, peut se produire indépendamment de l’heure de la journée. Dans l’univers pictural il est souvent difficile de faire une différence entre l’obscurité ou tout simplement l’emploi massif de la couleur noire sur la toile. Cette difficulté, voire l’impossibilité de distinguer entre ces différents phénomènes, est la source d’une certaine ambiguïté, mais aussi toute la richesse de ce thème. L’exposition de Metz, impressionnante par son ampleur et la qualité exceptionnelle des œuvres rassemblées, a fait le pari d’une vision globale en abordant le sujet sous tous ces angles. Si cette option n’évite pas certains glissements, elle permet de plonger le spectateur dans un univers où la réalité et le songe ne font qu’un.

Comme il se doit, le visiteur pénètre dans l’espace de la manifestation par une salle sombre – une manière de lui faire perdre d’emblée ses repères. Au fond, des étincelles lumineuses, qui apparaissent et disparaissent, justifient le titre de cette installation, Lucioles (Jennifer Douzenel, 2011-2018). Le parcours, qui débute chronologiquement, fait pratiquement l’impasse sur le romantisme – à l’exception d’une vision de Victor Hugo. Choix d’ailleurs marqué par une toile au titre ironique La fin du romantisme d’Adrian Ghenie (2009). On pourrait contester cette absence, car les romantiques, en réaction au siècle des Lumières, introduisent pour la première fois l’intuitif, l’irrationnel. Dans le chemin qui mène vers la modernité, ce sont les symbolistes qui ouvrent le bal ici. Quelques travaux des peintres belges, Léon Spilliaert et Jan Sluijters, une œuvre pleine de charme de Félix Vallotton, Promenade nocturne (1895), une toile pratiquement méconnue de Mondrian, Paysage au clair de lune (1907-1908), exploitent systématiquement une lumière tamisée, crépusculaire de façon à créer une atmosphère mystérieuse.

La peinture à l’épreuve de l’ombre et de la lumière

Le dialogue avec l’obscurité devient parfois prétexte à une expérience radicale de la peinture. La dissolution des formes qui s’estompent sous une lumière incertaine annonce alors l’avènement de la non-figuration.

Obscurité, mais aussi lumière aveuglante. De fait, dans une section qui aurait pu s’appeler « la Fée Électricité », une œuvre étonnante de Monet, Leicester Square (1901), ou encore Le Fiacre de Robert Delaunay (1906-1907) transforment le paysage urbain en un kaléidoscope incandescent d’innombrables facettes lumineuses. Lumière artificielle – trop fuyante pour être aisément captée – que l’on retrouve d’une manière inattendue avec Amédée Ozenfant (Nuits électriques, 1928).

La grande qualité de cette manifestation est de montrer tantôt des travaux d’artistes relativement peu connus, tantôt des œuvres rarement montrées de créateurs plus célèbres. Ainsi, l’Américain Alex Katz, dont on a l’habitude de voir les portraits dénués de toute expressivité, est représenté ici par un tableau pratiquement abstrait, Bond Street, 1998. Ailleurs, dans un chapitre qui traite du monde de la nuit avec ses personnages, un ensemble exceptionnel de travaux d’Auguste Chabaud met en scène les nuits parisiennes, cette ville de lumières, où la solitude se mêle à une étrange poésie. Entre fauvisme et expressionnisme, ce sont des images d’hôtels de passe avec leurs enseignes éclairées par des néons clignotants, de cabarets, de music-halls, de prostituées à l’affût des clients. Quelques années plus tard, on croise tout ce monde interlope dans un contexte social beaucoup plus sombre, à Berlin. Les dessins issus d’Ecce Homo de George Grosz (1922-1923), durs, impitoyables, proches de la caricature, sont à la mesure de toute la noirceur de cette période.

D’autres artistes préfèrent tourner le dos au réel et se réfugier dans des visions galactiques. Avec Anna-Eva Bergman, n° 11- Grand Rond (1968) ou Geneviève Asse, Ouverture de la nuit (1973), la nuit semble s’évanouir et laisser échapper les premiers frémissements d’une lumière blanche. Les quelques autres chapitres – « Obsessions nocturnes », « Se perdre dans la nuit » ou « Les Mangeurs d’étoiles » – accompagnent ce voyage qui, pour emprunter un autre titre, chemine « de l’Intime au Cosmos ». Autrement dit, c’est encore le réel, mais c’est déjà un peu le rêve.

Peindre la nuit,
jusqu’au 15 avril, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, 57020 Metz.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°510 du 2 novembre 2018, avec le titre suivant : La tÊte dans les étoiles

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