7 clefs pour comprendre

La galerie des Gobelins

Par Bertrand Dumas · L'ŒIL

Le 23 juillet 2007 - 1241 mots

Fermée depuis 1972, la galerie des Gobelins, vitrine historique des manufactures, a rouvert ses portes au public qui retrouve ainsi le chemin du Mobilier national et de ses cent mille trésors.

Colbert et Le Brun, pères des Gobelins
Dans de nombreuses langues étrangères, le mot Gobelin est synonyme de tapisserie. Cette contagion sémantique s’explique par l’excellence et le rayonnement des ateliers parisiens de tissage de tapisserie, réunis en l’hôtel des Gobelins depuis la fondation de la manufacture royale par Colbert en 1662.
Le ministre de Louis XIV, attentif à « la gloire du royaume », nomma Charles Le Brun premier directeur des Gobelins. Le premier peintre du roi dirigea d’une main de fer la nouvelle institution, à laquelle viendront se greffer les manufactures des tapis de la Savonnerie et celle des tapisseries de Beauvais, en 1663 et 1664.
Il appartenait au directeur de « faire les dessins de la tapisserie […] les faire exécuter correctement et avoir la direction sur tous les ouvriers ». Les successeurs de Le Brun s’employèrent à maintenir l’héritage du fondateur des manufactures royales. Rattachées au début du xxe siècle à l’administration du Mobilier national, elles continuent de perpétuer aujourd’hui encore un savoir-faire et un goût français.

Le rayonnement du style versaillais
À l’époque, le regroupement et la modernisation des ateliers au sein des manufactures avaient un double objectif : lutter contre la concurrence étrangère et doter enfin la France des outils et des hommes capables de répondre aux besoins, de plus en plus somptuaires, de la royauté. Louis XIV et Le Brun incarneront cet appétit de grandeur et cet âge d’or de l’art français pendant lequel les manufactures tourneront à plein régime.
Dès 1673, les Gobelins pouvaient passer pour « une petite ville », peuplée des meilleurs artistes et artisans du royaume. Dans leurs murs, peintres et tapissiers mais aussi teinturiers, fondeurs, graveurs, ébénistes et de nombreux autres métiers d’art plus spécifiques encore, élaborèrent, ensemble, les contours d’une esthétique nouvelle : le style versaillais, dont la beauté classique et grandiloquente avait conquis les cours européennes. Les plus importantes d’entre elles goûtaient, sous la forme de présents diplomatiques, à ces créations inégalées, exclusivement destinées à l’ameublement des maisons royales, impériales, puis nationales.

Trésors du Mobilier national
Des multiples ouvrages tissés dans les manufactures nationales, seuls ceux « tombés de métier » à Beauvais, dans l’Oise, sont proposés au marché privé. Ceux produits aux Gobelins et à la
Savonnerie sont aussitôt versés dans les collections du Mobilier national, chargé de leur entretien et de leur affectation.
L’ancien Garde-Meuble royal, institué par Le Brun en 1667, conserve environ 100 000 objets qu’il destine à l’ameublement du palais de l’Élysée, des résidences présidentielles, des ministères,
des ambassades et des grandes administrations. Les meubles qui souffrent le plus de leur usage quotidien, les sièges par exemple, sont confiés à l’un des sept ateliers de restauration installés depuis 1937 dans le bâtiment construit par Auguste Perret sur les anciens jardins de la manufacture des Gobelins. Les dépôts d’œuvres, avant d’être accordés aux administrations ou aux expositions, font l’objet d’examens minutieux par les inspecteurs du Mobilier national, garants de l’intégrité des collections.

Mort et résurrection d’un showroom d’exception
La fermeture de la galerie des Gobelins avait privé le Mobilier national de son lieu de présentation de ses collections. Déjà sous l’Ancien Régime, le public arpentait la galerie pour venir contempler les dernières créations des manufactures.
Le bâtiment d’origine fut détruit sous la Commune en 1871 puis remplacé par une galerie provisoire à pans de bois, jusqu’à l’inauguration en 1922 des espaces actuels érigés par Jean-Camille Formigé. L’architecte avait prévu deux galeries superposées d’une surface totale de 1 000 m2. Un escalier monumental reliant, au sud, les deux étages vient d’être complété au nord par un deuxième accès afin de permettre un circuit de visite linéaire.
L’édifice xixe a subi peu de modifications. Seules quelques fenêtres de la salle basse ont été obstruées par des panneaux de maçonnerie afin de développer les cimaises et de réduire l’éclairage naturel nuisible aux tapisseries. Trente ans après sa fermeture en 1972, la galerie des Gobelins est redevenue le lieu d’exposition du patrimoine, de la création et des métiers d’art, qui manquait à Paris.

L’art contemporain recouvre l’ancien
Les tapisseries, meubles et objets d’art présentés à l’occasion de l’exposition inaugurale (« Les Gobelins 1607-2007 : trésors dévoilés ») témoignent autant de l’histoire que de l’actualité du Mobilier national et des manufactures.
Dans la galerie basse sont exposées les créations de ces dix dernières années. En 2004, trois artistes contemporains, Jean-Michel Othoniel, Paul-Armand Gette et Martine Aballéa ont été invités par le Mobilier national à concevoir des modèles de tapisserie pour recouvrir des sièges anciens. Les cartons qu’ils fournissent, aujourd’hui des photographies retouchées par ordinateur, sont ensuite traduits en tapisserie par les ateliers de tissage de Beauvais, spécialisés, depuis le xviiie siècle, dans la garniture d’ameublement.
Ces commandes audacieuses, où artistes et artisans s’associent pour créer des pièces uniques, permettent à la manufacture de renouer avec une tradition ancienne abandonnée depuis les années 1930. Ces projets – soutenus par l’Atelier de recherche et de création (ARC) – sont présentés pour la première fois au public. Ils réveilleront de leur fantaisie le décor souvent conventionnel d’un bureau de haut fonctionnaire.

La réunion de la tenture d’Artémise
Dans la galerie haute, tapis et tapisseries des premiers temps des manufactures recouvrent les cimaises « d’un mur de laine ». Point d’orgue de cette enfilade vertigineuse : les quinze pièces de la tenture d’Artémise, réunies pour la première fois depuis trois cent cinquante ans grâce au mécénat de Natexis. La banque a déboursé 1,825 million d’euros pour réaliser ce miracle patrimonial qui rend à la France un témoignage unique de la tapisserie royale de l’époque des derniers Valois et d’Henri IV. Les dessins de la tenture, inspirés des Triomphes de César de Mantegna, représentent sous les traits d’une héroïne antique la reine Marie de Médicis.
Les cartons d’Antoine Caron, complétés par ceux d’Henri Lerambert, « peintre des tapissiers du roi » en 1600, ont été tissés dans les premières années du xviie siècle par les deux ateliers du faubourg Saint-Marcel, à l’origine de la manufacture des Gobelins. De soie, de fil d’or et d’argent, la tenture d’Artémise, présentée dans son intégralité, donnera au visiteur, selon le directeur M. Brejon de Lavergnée, « l’impression d’une galerie peinte, à l’image de celle qui existe encore au château de Fontainebleau ».

Les objets du pouvoir
Quarante-neuf objets, aussi inédits que spectaculaires, évoquent dans la galerie haute la permanence des missions du Garde-Meuble de la couronne, devenu Mobilier national à travers les régimes successifs. Le scénographe de l’exposition a créé, dans des vitrines circulaires, des ensembles célébrant chacun le prestige et l’autorité d’un monarque. Des objets se distinguent par leur beauté formelle et leur complexité apparente. Parmi ceux-ci, le baromètre livré à Louis XVI en 1789 ou le bénitier de cristal de l’impératrice Eugénie illustrent parfaitement le souci de grandeur et de perfection qui désignaient les grands du royaume.
En prévision de la réouverture de la galerie des Gobelins, les inspecteurs du Mobilier national ont exhumé des réserves des pièces rarement étudiées par les spécialistes. Grâce à eux, appliques, torchères et cartonniers ont retrouvé le nom de leur auteur et parfois le lieu de leur destination d’origine. Un autre mérite de cette exposition : la restauration des objets qui équivaut, pour certains, à une véritable renaissance.

Informations pratiques

Autour de l’exposition

« Les Gobelins 1607-2007”‰: trésors dévoilés », jusqu’au 30 septembre 2007. Galerie des Gobelins, 42, avenue des Gobelins, Paris XIIIe. Métro”‰: Gobelins. Ouvert du mardi au dimanche de 13 h 30 à 18 h 30. Tarifs”‰: 6 € et 4 €, tél. 01”‰44”‰08”‰53”‰49.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°592 du 1 juin 2007, avec le titre suivant : La galerie des Gobelins

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