La filiation père-fils ou l’éducation contre nature de l’Amérique selon Paul McCarthy

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 20 décembre 2007 - 433 mots

L’œuvre avait fait scandale à son exposition à Angoulême en 1994. Depuis, elle est devenue culte. Dans cette portion de forêt artificielle, deux mannequins s’affairent. Un père et son fils s’emploient activement à un coït pénible et priapique avec mère nature, l’un contre un tronc d’arbre, l’autre allongé sur un tapis de mousse. Un mécanisme d’automate les fait s’agiter péniblement.
Belle image de l’éducation père-fils, interprétation forcément fallacieuse des longues balades initiatiques dans une nature idyllique qu’aimait vanter la télévision américaine des années 1950 et 1960, celles de l’enfance de Paul McCarthy, né à Salt Lake City en 1945. Cette complicité masculine, comme toujours chez lui, se conclut dans une sorte de mimétisme absurde et pathétique. Le viril se complaît dans la débandade et l’homme, le père, est loin d’être une figure héroïque montrant un louable exemple.

Bonanza
Dans l’œuvre TV Garden (1991-1992), la perversion atteint un degré de raffinement supplémentaire car McCarthy a utilisé un véritable vestige de la série télévisée créée en 1959, Bonanza. On y suivait les aventures mouvementées de Ben Cartwright et ses trois fils à la tête de leur ranch, le Ponderosa, dans le Nevada du XIXe siècle. Amitié virile, code de l’honneur, les cow-boys y faisaient preuve de sensibilité et d’éthique, de courage et de résistance physique. Pour des millions de jeunes américains, Bonanza servit de palliatif au roman de formation.
En récupérant une partie du décor du plateau, McCarthy a désacralisé ce monument culturel porteur de l’American Way of Life distillée au monde entier comme référence sociétale des années 1960. Le modèle américain est ici comme humilié avec un sens du spectacle et de la confusion absolument machiavéliques. Et au spectateur-voyeur de prendre même goût à cette saynète dérisoire.

Amer... hic !
Enrobée de la même douceur sordide, on retrouve l’Amercan Way dans une autre « énormité » de Paul McCarthy, une sculpture en ronde-bosse, Cultural Gothic (1992). On y découvre un couple de mannequins, une nouvelle fois un père et son rejeton, l’adulte engageant cet enfant à forniquer « naturellement » une chèvre empaillée.
On ne peut s’empêcher de penser à un tableau célèbre de Grant Wood, American Gothic (1930) représentant un fermier et sa fille dans le style rigide et frontal du régionalisme, véritable incarnation du Midwest et des valeurs laborieuses des États-Unis. La « proposition » de McCarthy n’a évidemment rien d’orthodoxe, à l’instar des nombreuses sculptures (cinétiques ou non) que l’artiste s’est mis à élaborer depuis la fin des années 1980. Le monde édulcoré et sucré de Mickey s’est décidément fait avaler par celui plus complexe et pervers du grand méchant loup.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°598 du 1 janvier 2008, avec le titre suivant : La filiation père-fils ou l’éducation contre nature de l’Amérique selon Paul McCarthy

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