Art moderne

Julio González. Le marteau, l'enclume et Picasso

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 28 août 2007 - 736 mots

Julio González fût un artiste majeur du xxe siècle, mais son pedigree lui nuisit longtemps. De la difficulté d’être un sculpteur et peintre espagnol reconnu sans s’appeler Picasso...

Les vies d’artistes émigrés dans le Paris cosmopolite du début du siècle précédent ont souvent des allures de trajectoires indélébiles et fulgurantes, se terminant de manière tragiques. Modigliani et Pascin (lire L’œil n° 589) sont de ces comètes dont la notoriété doit pour partie à leur force d’éblouissement autant qu’à leur rapidité d’extinction. Des vies d’artistes autophages où le temps passé à créer est, au mieux, soustrait à celui passé à se brûler et à brûler sa vie. La vie d’artiste, dit-on alors.
À leur image, González ne sacrifia jamais à la cohérence entre sa vie et son œuvre. Mais, trop discret pour être impétueux, il lui fallut du temps et du labeur pour s’approcher du soleil sans se brûler les ailes…

Quand la famille s’insinue dans son activité, c’est funestement
Si la vie de González affiche une destinée, c’est que son ascendance semblait l’y vouer. Né dans une Barcelone effervescente en 1876, le jeune homme s’investit très tôt au sein de l’atelier d’orfèvrerie et de ferronnerie de son père. Avec son frère aîné Joan, il donne à la firme paternelle un prestige certain et une médaille lors de l’Exposition internationale de Chicago en 1892. Fleurs et animaux, colliers et broches : sa remarquable précocité pour le travail du métal ignore les frontières et les genres.
À cette époque, la vie d’artiste est à Paris. Un séjour en 1899 suffit à le ­convaincre de la nécessité de passer par ce pôle magnétique où Picasso commence à régner en maître qu’il n’est pas encore auprès des acteurs du marché de l’art. Et quand les peintures du jeune Julio González dénotent des influences multiples, ses œuvres en cuivre repoussé attestent sa profonde originalité et sa fidélité au savoir-faire familial.
Pourtant, quand la famille s’insinue dans l’activité créatrice de González, c’est funestement. Comme ce père mort en 1896 laissant au jeune Julio la responsabilité de poursuivre l’entreprise artisanale. Comme ce frère Joan, qui décède en 1908, plongeant son cadet dans une « nuit d’inquiétude et d’angoisse ». Comme le nom de cette sœur qui résume cette période mélancolique et presque vierge de création : Dolores…
Sortant de la nuit, González rencontre la guerre. Sortant de la guerre, il rencontre le fer et la soudure autogène en qualité d’apprenti aux usines Renault de Boulogne-Billancourt. Triviale, la technique devient une mine. Sa maîtrise lui permet de renouveler la sculpture : épurant les contours et réduisant les formes à de simples signes, il se joue de la transparence et du vide.

Dans l’ombre d’un autre Espagnol : Pablo Picasso
Le discret maître ferronnier invente dès lors sa propre grammaire des formes, se rappelant humblement à ses bruyants voisins, autrement dit à la scène artistique mondiale. En 1928, l’un d’eux se rappelle à González, devenu par nécessité le seul ensorceleur de cette extraordinaire alchimie métallique : Picasso.
Se nourrissant de la ferveur de ce dernier pour lequel il exécute des sculptures en fer dont le projet de Monument à Guillaume Apollinaire (1928), González commence, quinquagénaire, son grand œuvre. Femme se coiffant (1931) puis sa participation en 1937 à l’Exposition universelle de Paris avec sa Montserrat témoignent à la fois d’une science parfaite et de la révolution opérée. Le « plasticien du vide » sort enfin de la nuit, une cohorte d’artistes derrière le flambeau de cette sculpture ouvrant tant de possibles.
En 1942, González est emporté par une ultime nuit, tandis que la guerre étend la sienne sur le monde. Picasso célèbre son ami disparu avec une tête de taureau composée d’une selle et d’un guidon de bicyclette. Un bricolage génial pour clamer et acclamer un génie trop discret. Quelques années auparavant, en 1936, alors que les républicains assiégés avaient confié à Picasso la direction du Prado, celui-ci fut catégorique : le secrétaire général s’appellerait González… 

Biographie

1876 Naissance de Julio González à Barcelone. 1887 Débute comme ferronnier d’art et fréquente le café Els Quatre Gats, où il rencontre Picasso. 1900 Quitte l’Espagne pour le quartier de Montparnasse à Paris. 1907 Participe au Salon des indépendants. 1918 À l’usine Renault, à Boulogne-Billancourt, il découvre la technique de la soudure autogène. 1922 Exposition personnelle à la galerie Povolovsky (Paris). 1927 Premières sculptures en fer forgé et découpé. 1937 Réalise La Montserrat pour le pavillon espagnol de l’Exposition universelle de 1937. 1942 Décès à Arcueil, près de Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°594 du 1 septembre 2007, avec le titre suivant : Julio González. Le marteau, l'enclume et Picasso

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