Relecture

Jan Dibbets libère la photographie

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 27 avril 2016 - 719 mots

Au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, l’artiste néerlandais rassemble les œuvres qui l’ont marqué
relisant l’histoire de la photographie et définissant un savoureux manifeste.

PARIS - On dit Fabrice Hergott, directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, peu intéressé par la photographie. Depuis sa nomination à la direction du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, en juillet 2006, les expositions photo se comptent il est vrai à grand-peine. Avant lui, elles n’étaient pas davantage programmées. « Objectivités. La photographie à Düsseldorf » a été la première exposition qu’il a initiée deux ans après sa nomination. Elle rassemblait pour la première fois en France les professeurs et les élèves de la célèbre école allemande des beaux-arts. Sept ans plus tard en invitant Jan Dibbets à revisiter l’histoire de la photographie, des origines à nos jours, Fabrice Hergott propose une autre exposition transversale ambitieuse.

Soumettre cette histoire de près de deux siècles à l’approche subjective d’un artiste qui ne s’y est jamais intéressé, c’est toutefois faire un choix audacieux exposé à la critique. Jan Dibbets n’a jamais écrit ni théorisé sur la photographie. Mais l’auteur de L’Hommage à Arag ( disques de bronze matérialisant le méridien de Paris) est un habitué des lieux. Par trois fois, l’institution lui a consacré une exposition personnelle (en 1980, 1994 et 2010). Certes, l’artiste néerlandais n’a cessé de remettre en cause, dès la fin des années 1960, les présupposés photographiques, y compris dans l’art conceptuel auquel il n’aime pas être associé bien qu’il y ait contribué. D’ailleurs la proposition de Fabrice Hergott n’a pas été sans déplaire à Jan Dibbets qui, à plus de 70 ans, confie « avoir finalement éprouvé une grande joie à en découdre autrement avec la photographie ». Surtout « en ces temps de prolifération et d’invasion des images, où la redondance est souveraine ».

La technique ouvre un vaste champ des possibles
Épaulé dans cette plongée dans l’histoire du médium par François Michaud, conservateur en chef du patrimoine au musée, Jan Dibbets affronte de manière franche la photographie, tant dans l’exposition que dans l’entretien réalisé avec Erik Verhagen (à lire dans le catalogue). Le titre initial « Une autre histoire de la photographie » devenu « Une autre photographie » révèle l’évolution de son propos qui, dès le début, a écarté de son champ la photographie documentaire « en raison de son contenu descriptif et narratif, marque de faiblesse ». Ce qui forme le socle de son investigation et de son propos réside dans ce qu’exprimait le philosophe Vilém Flusser dans Pour une philosophie de la photographie il y a trente-trois ans : « Ce que recherche le photographe tel qu’on l’entend ici dans le programme de l’appareil, ce sont des possibilités encore inexplorées des images informatives, improbables, jamais vues auparavant. »

Des cyanotypes d’Anna Atkins aux structures tridimensionnelles produites par Kelley Walker ou Seth Price à partir d’images en deux dimensions, c’est cette exploration des possibilités techniques du médium et de ses spécificités qui forme la trame principale de son discours. Si l’orchestration poétique qu’il en fait donne une large place à la photographie scientifique (que la préparation de l’exposition lui a permis de découvrir) et à la photographie expérimentale de l’entre-deux-guerres, l’interaction des photos mélange malicieusement les codes et les sens à l’instar de La Soupe de Daguerre de Marcel Broodthaers exposée.

D’une partie à une autre, Jan Dibbets crée des associations sous formes de cadavres exquis. Une photographie lunaire de Paul et Prosper Henry de 1893 côtoie ainsi un ciel étoilé de Thomas Ruff. Anna Atkins, Eadweard Muybridge (auquel il consacre une salle entière), Gustave Le Gray, Moholy-Nagy, Man Ray, Berenice Abbott ou Rodchenko le fascinent et bénéficient d’une large place dans l’exposition. L’appréhension qu’il fait à mi-parcours de la photographie conceptuelle construit d’autres savoureuses analogies entre ses auteurs et avec ceux qui les ont précédés. Leurs expérimentations morphologiques forment des constellations. Pour les constituer, Jan Dibbets choisit d’utiliser à valeur égale vintages, contretypes ou répliques. La reproductibilité de la photographie est une des caractéristiques du médium. L’artiste utilise la liberté qu’elle permet pour construire son histoire de la photographie, qui s’avère aussi un très bel hommage aux photographes et artistes qu’il a choisis.

La BoÎte de Pandore

Commissaires de l’exposition : Jan Dibbets, François Michaud
Nombre de photographies : 210

La BoÎte de Pandore. Une autre photographie par Jan Dibbets

Jusqu’au 17 juillet 2016, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, mardi-dimanche, le jeudi 10h-18h, 10h-22 h, entrée 9 €. Catalogue édité par Paris Musée, p. 260, 49,90 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°456 du 29 avril 2016, avec le titre suivant : Jan Dibbets libère la photographie

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