Rétrospective

Hatoum, l’art de l’intranquillité

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2015 - 712 mots

Avec une remarquable cohérence dans son travail de sculpture et dessin, Mona Hatoum, exposée au Centre Pompidou, exprime une conscience de l’instabilité du monde.

PARIS - Mona Hatoum est une combattante ! Sans relâche, l’artiste pointe les désordres de l’intime liés à ceux du monde contemporain, usant d’une esthétique à la fois rugueuse et précieuse, aride et fragile. Soit autant de contrastes qui, savamment joués, confèrent à son travail une grande cohérence. Ce constat n’est pas neuf, mais il adopte un nouveau relief avec l’exposition rétrospective, très réussie, que lui consacre à Paris le Centre Pompidou. Car en une centaine d’œuvres s’y déroule un parcours à la fois artistique et humain – une dimension qui apparaît absolument intrinsèque à l’œuvre –, d’une redoutable intelligence. Y est montrée une artiste qui n’a pas bougé d’un iota dans la certitude de ses engagements, mais qui a su en faire évoluer la transcription formelle, évitant ainsi de s’enfermer elle-même dans son propre discours.

D’enfermement pourtant il est question, et de toutes parts. Dès l’entrée, le visiteur bute sur un immense cube construit à l’aide d’une résille d’un lourd acier qui constituerait une prison aussi parfaite que cruelle (Cube, 2006). Lors de la visite, il apparaît que le motif de la grille est omniprésent dans le travail, sous des formes diverses. Ainsi dans ces Cellules (2012-2013) instables en fers à béton contenant des pièces de verre rouge évoquant des organes. Ou avec ces 2 200 savons de Naplouse ordonnés au sol, dans lesquels de microbilles dessinent les territoires cisjordaniens qui devraient être restitués aux Palestiniens (Present Tense, 1996-2011). Une grille également que celle qui danse sur les murs de sa fameuse installation Light Sentence (1992) : produite par le mouvement d’une ampoule accrochée entre des casiers métalliques, elle peut, à force, faire légèrement tanguer le visiteur lui-même. Sur un Keffieh (1995-1999) palestinien, ce sont des cheveux cette fois-ci qui composent le motif et finissent par s’échapper du cadre.

Exil forcé
Car c’est une autre caractéristique de l’art de Mona Hatoum que de voir l’ordre virer au désordre, verser dans le chaos. Comme dans ces minuscules dessins en cheveux où le tracé orthonormé prend des libertés avec la géométrie et ondule librement (Untitled (Hair Grid with Knots), 2001). Ou dans cette immense carte du monde dessinée avec des billes de verre, dont les éparpillements malmènent quelque peu la réalité géographique (Map, 1999).

Née en 1952 à Beyrouth de parents palestiniens, l’artiste en visite à Londres est empêchée de rentrer au Liban lors du déclenchement du conflit de 1975. Elle se fixe donc alors dans la capitale britannique et commence dès la fin des années 1970 une pratique de la performance, parfois violente, qui explore le chaos du monde à travers l’intime. Il est remarquable que soient donnés à voir ici nombre de ces travaux séminaux, pour la plupart peu ou pas connus. Dans plusieurs d’entre eux, l’artiste, munie d’une caméra, scanne littéralement son corps, face au public (Don’t smile, you’re on camera !, 1980). Ailleurs, elle en extrait symboliquement les entrailles, comme dans Variations on Discord and Divisions (1984) où elle sort de sa blouse de la viande qu’elle coupe d’un geste abrupte en morceaux et offre aux spectateurs dans des assiettes.

Dès 1977, elle intègre des éléments de son corps, cheveux et ongles en particulier, à des œuvres sur papier dont certaines semblent déjà jouer avec les idées de limite et de frontière qui deviendront bientôt récurrentes, possible métaphore de l’enfermement lors de ces années d’exil forcé…
Auparavant plus fortement centré sur l’intime, le propos se fait dès la fin des années 1980 plus universel ; une ouverture matérialisée par les nombreuses œuvres faisant appel à la cartographie, comme cette mappemonde en néon rouge qui effraye un peu et maintient à distance (Hot Spot, 2013). Mais toujours, chez Mona Hatoum, personnel et universel sont intrinsèquement liés dans une lecture physique et politique du monde, ce que rappellent de nombreux objets domestiques menaçants, tels ces ustensiles de cuisine électrifiés (Home, 1999). Ou, pour reprendre le titre si juste d’Edward W. Said donné à son essai publié dans le catalogue : « L’art du déplacement ou la logique des irréconciliables » !

MONA HATOUM

Commissaire : Christine Van Assche, conservatrice au Musée national d’art moderne
Nombre d’œuvres : environ 100

Mona Hatoum

Jusqu’au 28 septembre, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h, entrée 14 €. Catalogue, 192 p., 34,50 €.

Légende photo
Mona Hatoum, Map, 1999, billes de verre, vue de l'installation au Centre Pompidou. © Photo : Hervé Véronèse.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Hatoum, l’art de l’intranquillité

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