Jardin

Flower Power à Londres

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 16 février 2016 - 828 mots

Évoquant le jardin dans la peinture des années 1860 à 1920, la Royal Academy of Arts expose de très belles œuvres, mais peine à inscrire cette mode dans le contexte du moment.

LONDRES - En reprenant une exposition, montée par William Robinson au Cleveland Museum of Art (Ohio), sur le jardin aux temps de l’impressionnisme et du post-impressionnisme, la Royal Academy of Arts ne prend guère de risque. Certains tableaux de collections particulières méritent à eux seuls le déplacement, à commencer par cette Jeune femme dans les fleurs, dans laquelle Manet résume quelques fleurs avec une vivacité inégalée. Ajoutez le Jardin de Daubigny peint à Auvers par Van Gogh, précurseur du divisionnisme, et deux panneaux d’Édouard Vuillard, représentant famille et amis dans le parc des Nathanson, parmi lesquels Bonnard jouant avec un chaton dans un coin. À côté est accroché un panorama de la Côte par ce dernier. Et vous avez le bonheur d’une journée. Après tout, en ces temps quelque peu sinistres, les fleurs peuvent être les bienvenues. Et salutaire cet élan vital des artistes pour rendre la vérité de la nature, face à toutes les adversités.

Comme le souligne dans le catalogue Clare Willsdon, professeur à Glasgow, le jardin privé et sa représentation sont devenus, en cette deuxième moitié du XIXe siècle,  les symboles de l’ascension des classes moyennes. Ils sont impulsés par les avancées techniques, qui facilitent le transport et l’acclimatation de fleurs exotiques tels les chrysanthèmes du Japon. La science ouvre la voie à des hybridations, qui permettent de décliner presque à l’infini la palette des couleurs.

Dans une mise en scène assez sobre, Robert Carsen a reconstitué des stands de magasin, plaçant des échantillons de plante sous vitrine mais aussi des catalogues, des commandes et des échanges épistolaires de Monet. À l’affût des nouveautés, le peintre de Giverny était un jardinier passionné. Sans surprise, il est la star d’une exposition dominée par les Français. Trente-cinq tableaux sont de lui, d’une nature morte de jeunesse, confrontée à un exercice semblable de son ami Renoir, à un triptyque de Nymphéas, qu’il destinait à la maison de Rodin au lendemain de la Grande Guerre.

Réaction à l’industrialisation
Ce que l’exposition parvient plus difficilement à rendre, c’est l’inscription de cet art dans un propos politique et moral, alors que l’Angleterre joua pourtant là un rôle moteur. Ainsi Monet fut-il influencé par les théories d’un William Robinson. Cet horticulteur, homonyme du commissaire de l’exposition, publia son ouvrage de référence, The Wild Garden (« Le Jardin sauvage »), en 1870, année qui vit le peintre se rendre pour la première fois à Londres, ce afin d’échapper à la guerre.

Sous cet intitulé en forme d’oxymore, l’auteur préconisait de planter un peu partout des fleurs sauvages et exotiques, en marge des parterres floraux. Citant le critique d’art John Ruskin, il voyait dans cette esthétique un moyen de sauver « la connivence de l’homme avec la nature », en réaction à une industrialisation et une urbanisation sauvages. Dans ses manuels, il donnait volontiers en exemple les paysages de Camille Corot ou William Turner. Comme le relève Anne Helmreich (1), il s’est lui-même constitué une collection de Corot, Charles François Daubigny, Cecil Lawson et Alfred Parsons. Les illustrations de ce dernier ont beaucoup fait pour populariser ses publications. Les deux participèrent au Broadway Group, colonie d’artistes dans le Worcestershire, qui compta dans ses rangs John Singer Sargent.

Citant les sonnets de Shakespeare et l’essai sur le jardin de 1625 de Francis Bacon, Robinson plaidait aussi pour un retour aux plants anciens, en écho à une fascination pour le passé. Exaltant la « Merrie Olde England », insistant sur le symbolisme des fleurs endémiques, les artistes contribuèrent ainsi à faire du jardin un élément fondateur du discours national.

D’après Anne Helmreich, cette « construction mythique » s’est développée au moment même où la dépression « sonnait le glas de l’agriculture anglaise ». En dix ans, 185 000 hectares de cultures, presque l’équivalent du Pays de Galles, furent abandonnés. Les exploitations étaient rachetées par des citadins cherchant à fuir les métropoles. La pollution, la misère et les épidémies suscitèrent des mouvements de réforme sociale prônant le retour à la nature, dont le fondateur de l’Arts & Crafts, William Morris, fut l’un des porte-parole. À la fin du siècle, Ebenezer Howard lança son mouvement pour les cités-jardins. Ces artistes britanniques sont laissés de côté à la Royal Academy. L’exposition évoque néanmoins le parc idéal de Max Liebermann au bord du lac de Wannsee, dans lequel il réalisa plus de deux cents tableaux, parc dont il avait confié le tracé au directeur de la Kunsthalle de Hambourg, le réformateur Alfred Lichtwark. Mais il est curieux qu’elle ait manqué, à Londres, ce passage si anglais de l’histoire de l’art européen.

Note

(1) In « Nature and Ideology », Dumbarton Oaks Colloquium on the History of Land, volume XVIII, 1997, Harvard University.

Le jardin moderne

Commissariat : William Robinson, Cleveland Museum of Art ; Ann Dumas, Royal Academy
Nombre d’œuvres : 120

Peindre le jardin moderne : de Monet À Matisse

Jusqu’au 20 avril, Royal Academy of Arts, Burlington House, Londres, tlj 10h-17h30 (21h30 le vendredi), www.royalacademy.org.uk, entrée 17,60 £ (env. 23 €). Catalogue, 48 £ (env. 63 €).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°451 du 19 février 2016, avec le titre suivant : Flower Power à Londres

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