Félix Vallotton, le Nabi étranger

Le Musée des beaux-arts de Lyon accueille une rétrospective du Suisse

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2001 - 822 mots

À l’instar de Vuillard et Bonnard, Félix Vallotton a été l’un des principaux artistes du mouvement des Nabis. Pourtant, dès le début du siècle, loin des aplats de couleurs et des scènes intimistes, il a réalisé des séries de nus d’une crudité déconcertante et des paysages énigmatiques, aujourd’hui exposés au Musée des beaux-arts de Lyon. La manifestation fournit également l’occasion d’apprécier l’œuvre gravé de celui qui fut surnommé, en raison de sa nationalité suisse, « le Nabi étranger ».

LYON - La Malade (1892), toile fourmillante de détails, minutieusement réalisée dans la tradition des Maîtres de Delft ; Le Cadavre (1894), d’un violent réalisme rappelant le Christ mort de Holbein... Quelque peu dérouté par les premières toiles de Vallotton, le visiteur reconnaît peu à peu, dans les tableaux suivants, les moyens d’expression et la liberté d’interprétation des Nabis, comme dans la Femme nue assise dans un fauteuil rouge (1897). Si l’exposition met en avant l’œuvre du peintre, c’est avant tout pour ses gravures que Vallotton fut reconnu et accepté par les Nabis. Dans sa série de bois gravés intitulée “Intimité”, exposée dans les salons de La Revue blanche en 1898 et aujourd’hui dans les grandes salles du Musée des beaux-arts de Lyon, il n’est question que d’argent, de mensonge et d’adultère. La femme, perfide, intéressée, y tient le mauvais rôle, et son mari (ou amant) celui de la victime. L’univers de Vallotton est aussi celui de la foule, incontrôlée et incontrôlable. En témoignent les gravures satiriques auxquelles est dévolue une trop petite pièce, au premier étage. Tout n’y est que mouvement et vertige : dans La Manifestation (1893), l’artiste fait bouger la foule en la faisant fuir vers le haut de la composition. “Salue d’abord, c’est l’auto de la Préfecture”, clame un gendarme à son confrère alors que la voiture dudit préfet écrase une petite fille. Extraite de Crimes et châtiments (publié en 1902), cette scène décrit les travers de la société, sa cruauté et l’anonymat de chacun au profit d’une hystérie de masse... Si la couleur atténue quelque peu la tension de ces instantanés, la série peinte par l’artiste en 1898-1899 – correspondant aux bois gravés d’“Intimité” – a cette même tonalité suffocante. À l’image de La Chambre rouge (1898) ou La Visite (1899), les couples mis en scène dans des habitats bourgeois, à la géométrie précise et aux couleurs acides, suggèrent l’étouffement et l’hypocrisie. Au fil du temps et du parcours, le peintre se détache de la planéité au profit d’un mode d’expression plus apte à décrire les enfilades des pièces de son foyer bourgeois (Intérieur avec femme en rouge de dos, 1903), même s’il conserve encore les thèmes favoris des Nabis (Femme fouillant dans un placard, 1901).

Des nus “à l’emporte-pièce”
Renouant progressivement avec la représentation illusionniste de l’espace, Vallotton crée un nouveau style, largement mis en valeur dans cette rétrospective : des nus dépeints dans une crudité acerbe par le biais de couleurs pures exagérément cernées. Pour Apollinaire, Vallotton “n’a pas dépassé cet idéal mécanique de la photographie où la nature est reproduite pour ainsi dire à l’emporte-pièce”. Pourtant, par une saturation des tons, l’absence de volupté de la chair confère aux figures un caractère irréel, comme pour les personnages de La Haine (1908).

Dans un style similaire et de dimensions proches (plus de deux mètres de haut), Le Crime châtié, effrayant triptyque réalisé en 1915 dans des camaïeux de verts, évoque la guerre. Mais, c’est la baigneuse qui semble être le motif de prédilection de Vallotton au cours de cette période : la Baigneuse de dos s’essuyant avec un linge roulé (1908), figure reprise du Bain turc (1907), ou la Baigneuse au rocher (1911), sont autant de femmes nues, solitaires, immergées plus ou moins profondément dans l’eau. La Baigneuse, ciel orageux (1916) est une fois encore une allégorie de la France en guerre, réalisée peu avant que Vallotton ne soit envoyé comme observateur sur le front, en juin 1917, avec d’autres artistes. De cette expérience sont nées d’étranges peintures, qu’illustre parfaitement Verdun (1917), amalgame de phénomènes contradictoires (pluie, feu, boue, chaleur, nuit, jour) s’affrontant dans un paysage désolé.

Disséminés ça et là, le long de la visite, les nombreux paysages de Vallotton dénotent d’une technique particulière : après avoir fait des croquis au cours de ses balades, il réalisait les motifs au calme de son atelier. Coucher de soleil, mer haute gris-bleu (1911), Un soir au bord de la Loire (1923), combinent des points de vue divergents et différentes sources d’éclairage.

“Je rêve d’une peinture dégagée de tout respect littéral de la nature, révélait-il. Je voudrais reconstituer des paysages sur le seul secours de l’émotion qu’ils m’ont causée, quelques grandes lignes évocatrices, un ou deux détails, choisis sans superstition d’exactitude d’heure ou d’éclairage.”

- LE TRÈS SINGULIER VALLOTTON, jusqu’au 20 mai, Musée des beaux-arts de Lyon, 20 place des Terreaux, 69001 Lyon, tél. 04 72 10 17 40, tlj sauf mardi, 10h30-18h, catalogue RMN, 223 p., 195 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°123 du 16 mars 2001, avec le titre suivant : Félix Vallotton, le Nabi étranger

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