Photographie

État des lieux de notre civilisation

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 1 avril 2021 - 733 mots

Marseille

Dans les années 1960, Raymond Aron pensait que l’ère des civilisations prenait fin et que l’humanité se dirigeait vers une nouvelle phase, celle d’une civilisation unique.

Depuis les années 1990, le concept de civilisation est revenu en force dans les sciences humaines. Le choix de William A. Ewing, ancien directeur du Musée de l’Élysée, de le prendre pour titre et fil directeur de l’exposition qu’il cosigne avec Holly Roussell, historienne spécialisée dans l’art et la photographie asiatique contemporaine, aboutit à un ensemble de réflexions stimulantes et à une sélection de photographies et de photographes qui ne l’est pas moins. « Civilization » a en effet entamé son itinérance en 2018 à Séoul, avant de poursuivre à Pékin et Melbourne, puis Auckland en 2020 et aujourd’hui Marseille où le titre conserve son orthographe anglo-saxonne. 

Qu’en est-il du Covid-19 dans l’exposition ? « Nous n’avions pas assez de distance vis-à-vis de l’événement pour l’incorporer. Notre réflexion aurait été trop rapide et nos recherches et échanges avec les photographes n’auraient pas eu la profondeur de ceux qui ont prévalu lors de l’élaboration de l’exposition », explique Holly Roussell. Néanmoins, la photographie de Daniel Berehulac sur le virus Ebola au Libéria aborde la question d’un virus bouleversant le monde. Et elle suffit car « Civilization » s’avère avant tout une étude sur ce que revêt aujourd’hui ce terme. William A. Ewing, anthropologue de formation, livre d’ailleurs dans le catalogue une réflexion approfondie, non sans se référer à des historiens ou politologues tels que Fernand Braudel ou Raymond Aron. « Dans les années 1960, Raymond Aron pensait que l’ère des civilisations prenait fin et que l’humanité se dirigeait vers une nouvelle phase, celle d’une civilisation unique », rappelle William A. Ewing dans son texte. C’est précisément cette civilisation émergente planétaire, aux comportements similaires, qui se déploie au MuCEM, dès les premières sections consacrées à la densité urbaine et à ce qui fait socialisation à l’ère du numérique, de l’image omniprésente et de circulation massive de personnes, d’argent et de données. 

Une civilisation mondialisée
De l’urbanisation tentaculaire de nos sociétés aux visions du futur, l’état des lieux dressé en huit sections est sombre et son examen, par le prisme de la photographie, redoutable : 110 photographes donnent à voir les visages de l’urbanisation, de la société consumériste et ses loisirs, des différents types de contrôle ou menaces qui se sont développés ces deux dernières décennies.
Cette sélection aboutit à un équilibre entre grands noms et auteurs moins (ou pas du tout) connus. Elle permet aussi d’apprécier l’étendue des genres et des approches qui caractérisent la photographie de ce début du XXIe siècle – l’absence de vidéos ou de certains photographes comme Taryn Simon au MuCEM, contrairement aux autres étapes de l’exposition, s’explique par la taille des espaces qui lui sont dévolus à Marseille. D’une étape à une autre, on retrouve néanmoins les mêmes auteurs et photographies. Les musées accueillant l’exposition ont pu en outre passer commande à un artiste de leur choix ; le MuCEM s’est ainsi adressé à la jeune Marseillaise Yohanne Lamoulère et au duo Simon Brodbeck et Lucie de Barbuat. 

Si les photographes originaires de l’hémisphère nord sont les plus nombreux, c’est surtout l’aptitude à s’engager sur des sujets à long terme qui a été privilégié ; le spectre est large : Valérie Belin, Philippe Chancel, Samuel Gratacap, Vincent Fournier, Lauren Greenfield, Alec Soth, Massimo Vitali ou Michael Wolf [voir ill.]. Le 11-Septembre vu par Sean Hemmerle ou une usine de transformation de volaille en Chine sous le regard d’Edward Burtynsky sont particulièrement étonnants.

En regard d’Edward Steichen 
Cette lecture de nos sociétés par la photographie n’est pas sans renvoyer à celle de l’exposition « Family of Man » conçue par le photographe Edward Steichen et présentée au Museum of moderne Art (MoMa) de New York en 1955. William A. Ewing et Holly Roussell n’en font pas référence, mais ils ne peuvent pas ignorer sa teneur, ni les critiques et études qu’elle a suscitées. La vision humaniste en noir et blanc qui portait le manifeste de Steichein pour la paix et l’égalité des hommes, tout comme les enjeux pour la photographie d’être alors exposée dans un musée d’art contemporain appartiennent à une époque. La photographie couleur qui domine dans « Civilization », ses différents registres et formats présentent à cet égard un contraste saisissant, surtout en commençant le parcours par les formats géants du « Pergamon Museum » de Thomas Struth et celui de la bibliothèque de l’abbaye des chanoines augustins de Saint-Florian de Candida Höfer. 
 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°564 du 2 avril 2021, avec le titre suivant : État des lieux de notre civilisation

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