Strasbourg

Esprit es-tu là ?

Le MAMCS se penche sur deux siècles de fascination pour l’occulte. Un panorama gargantuesque

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 31 octobre 2011 - 623 mots

STRASBOURG - On ne saurait reprocher à Serge Fauchereau d’être gourmand. Maître d’œuvre de manifestations gargantuesques qui ont marqué la programmation du Centre Pompidou à Paris (« Paris-New York » en 1977, « Paris-Berlin » en 1978, « Paris-Moscou » en 1979…), l’historien de l’art vient de mitonner un nouveau festin au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (Bas-Rhin), avec la complicité de Joëlle Pijaudier-Cabot, directrice des musées de la ville.

Au menu, les « relations des arts, de la littérature et de la science avec les croyances au surnaturel, à la magie, et avec diverses formes de l’ésotérisme, de 1750 à 1950, en Europe ». En guise d’entrée et de dessert, deux passionnants addenda au corps de l’exposition ont été réalisés par des scientifiques extérieurs au musée. Le premier dresse un panorama de la production littéraire et iconographique en relation avec les croyances occultes à travers les âges ; le second s’intéresse aux moyens qu’ont développés les scientifiques pour tenter de « mesurer » le surnaturel. Beaucoup plus consistant, le plat de résistance, consacré aux beaux-arts, demande un effort supplémentaire d’assimilation.
Un simple dessin, L’homme qui a appris à Blake à peindre dans ses rêves, de William Blake (v. 1820), symbolise à lui seul ce que démontre un parcours pléthorique (de qualité inégale) : les artistes ont eux aussi été sensibles aux sirènes du surnaturel et du merveilleux, ont tout autant été fascinés par les mythes et les légendes, ont également eu soif d’intangible. Et ce en dépit de la pensée éclairée qui se répandit en Europe au XVIIIe siècle.

La démonstration aborde deux siècles de création en quatre grands chapitres (romantisme, symbolisme, abstraction et avant-garde, surréalisme), peuplés par les habitués de ces genres que sont Romney et Füssli pour l’Angleterre gothique, Goethe et Friedrich pour Allemagne romantique, Odilon Redon et Paul-Élie Ranson pour le symbolisme, ou encore André Masson pour le surréalisme. Si cette approche encyclopédique prend le risque de survoler une multitude de sujets qui mériteraient que l’on s’y attarde (comme les figurines eurythmiques de Rudolf Steiner), elle présente l’intérêt d’intégrer des artistes d’Europe du Nord et de l’Est, peu accoutumés aux cimaises des musées français – le Lituanien Mikalojus Konstantinas Ciurlionis, le Russe Konstantin Yuon, le Polonais Jacek Malczewski.

Pour visiteurs érudits
Dans son texte sur « L’Europe de l’obscur », Serge Fauchereau prévient que les œuvres et les objets présentés ont été « choisis à titres d’exemples et laissés à l’appréciation du visiteur ». L’absence de notices dans le catalogue en atteste : les œuvres tiennent ici un rôle illustratif, et réservent parfois de beaux moments comme la section dévolue à l’art brut avec Madge Gill. Au-delà de ce parti pris, en soi défendable, il apparaît que les commissaires comptent sur l’érudition des visiteurs – laquelle se doit d’être particulièrement solide tant les références (littéraires, religieuses, mythologiques…) sont nombreuses. Ajoutons qu’il peut arriver que la scénographie laisse les visiteurs sur le bas-côté, faute de précisions. Si les uns, mis en appétit, auront fait preuve de curiosité en se tournant vers les essais du catalogue pour parfaire l’expérience, les autres se seront contentés de goûter ce vaste monde du bout des lèvres.

L’EUROPE DES ESPRITS

Commissariat général : Serge Fauchereau, historien de l’art ; Joëlle Pijaudier-Cabot, conservatrice en chef du patrimoine et directrice des musées de la Ville de Strasbourg
Commissaires associés : Daniel Bornemann, conservateur, bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg ; Anny-Claire Haus, conservatrice du Cabinet des estampes et dessins de Strasbourg ; Estelle Pietrzyk, conservatrice du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg
Commissariat pour la partie scientifique : Sébastien Soubiran, docteur en histoire des sciences, université de Strasbourg ; Marie-Dominique Wandhammer, conservatrice du Musée zoologique de Strasbourg
Scénographie : Benoît Grafteaux et Richard Klein, architectes dplg

L’EUROPE DES ESPRITS OU LA FASCINATION DE L’OCCULTE, 1750-1950

Jusqu’au 12 février 2012, Musée d’art moderne et contemporain de la Ville de Strasbourg, 1, place Jean-Arp, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 23 31 31, www.musees.strasbourg.eu, tlj sauf lundi 11h-19h, jeudi jusqu’à 21h, week-end 10h-18h. Catalogue, éd. des Musées de la Ville de Strasbourg, 424 p., 48 €, ISBN 978-2-3512-5092-1

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°356 du 4 novembre 2011, avec le titre suivant : Esprit es-tu là ?

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