Les surréalistes ?

Des intellos de 'mes deux'

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 26 janvier 2010 - 624 mots

Adoubée par Breton et les autres, Frida Kahlo ne s’est pourtant jamais reconnue parmi les surréalistes envers lesquels elle a eu des mots très durs à son retour de Paris, en 1938.

Le surréalisme est la surprise magique de trouver un lion dans un placard, là où on était sûr de trouver des chemises », écrit Frida au dos d’un dessin en 1944. André Breton, qui voit dans le Mexique le lieu du surréalisme par excellence, dira qu’elle est un « ruban autour d’une bombe ». Frida Kahlo relais mexicain du surréalisme ? Pas si simple d’accorder les versions. « On me prenait pour une surréaliste. Ce n’est pas juste, se défend-elle. Je n’ai jamais peint de rêves. Ce que j’ai représenté était ma réalité. » Tradition mexicaine toute de symbolisme fantastique, Bosch, Brueghel, mais aussi Renaissance italienne, sa peinture brasse large et personnel.

« Ils passent des heures à réchauffer leurs précieuses fesses aux tables des "cafés" »
En 1938, Frida bénéficie de sa première exposition solo et montre vingt-cinq tableaux à la Julien Levy Gallery. La préface est assurée par André Breton. L’année suivante, le surréaliste toujours en quête de ramifications nouvelles l’invite à exposer à Paris. Ce sera chose faite à la galerie Renou et Colle, entre peintures mexicaines des xviiie et xixe siècles et objets issus de la collection d’art populaire de Breton – « un bric-à-brac de vieilleries », dira-t-elle. Le galeriste refuse des toiles jugées trop choquantes, et Frida rentrera passablement convaincue, comme en témoignent les lettres pour le moins imagées qu’elle adresse à son amant du moment, le photographe Nickolas Muray.

« J’ai décidé (…) de me tirer de ce foutu Paris avant de perdre la boule. Je ne peux plus supporter ces maudits intellectuels de mes deux […]. Je préférerais m’asseoir par terre pour vendre des tortillas au marché de Toluca plutôt que de devoir m’associer à ces putains "d’artistes" parisiens. Ils passent des heures à réchauffer leurs précieuses fesses aux tables des "cafés" […]. Le lendemain matin, ils n’ont rien à manger à la maison, vu que pas un seul d’entre eux ne travaille. Ils vivent comme des parasites, aux crochets d’un tas de vieilles peaux pleines aux as, qui admirent le "génie" de ces "artistes". De la merde, rien que de la merde, voilà ce qu’ils sont […]. Bordel ! ça valait le coup de venir, rien que pour voir pourquoi l’Europe est en train de pourrir sur pied, et pourquoi ces gens – ces bons à rien – sont la cause de tous les Hitler et Mussolini. »
 
Reste qu’en janvier 1940, l’Exposition internationale du surréalisme organisée par Breton à Mexico présente Les Deux Frida (1939) et La Table blessée (1940). « Une artiste fascinante et une femme complexe et compliquée, hantée par des fantasmes ennemis », comme dirait Breton.

Autour de l’exposition

Informations pratiques. « Frida Kahlo y su mundo », jusqu’au 18 avril 2010. Palais des Beaux-Arts, Bruxelles. Tous les jours sauf le lundi de 10 h à 18 h ; le jeudi à 21 h. Tarifs : 8 et 5 €. www.bozar.be
Frida Kahlo, héroïne populaire. Le destin tragique de Frida Kahlo a inspiré de nombreux ouvrages, films et documentaires. Sa biographie la plus célèbre reste celle écrite en 1983 par l’historienne de l’art Heyden Herrera (Frida, Livre de Poche). De cet ouvrage fut tiré en 2002 le film Frida de Julie Taymor dans lequel Salma Hayek incarne l’artiste. Les écrits de Frida Kahlo ont également été récemment réédités aux éditions Points. À noter la sortie en 2008 d’un documentaire en DVD sur l’artiste (Frida Kahlo, à travers le masque) dont la vie est entièrement racontée à partir de ses peintures. Si l’on n’y apprend rien de nouveau, le résultat est original (www.fdotv.com).

3 raisons d’aller voir l’exposition

Les œuvres – dix-neuf toiles, une eau-forte, six dessins et une série de photographies – exposées à Bruxelles sont toutes issues d’une collection privée, celle du Museo Olmedo, la plus grande consacrée à l’artiste mexicaine aux cinquante-cinq autoportraits, rassemblée à la demande de Diego Rivera.

Parmi les toiles emblématiques de l’artiste, Unos Cuantos Piquetitos (1935), une femme nue ensanglantée allongée sur un lit devant lequel se tient son meurtrier, couteau à la main. Un fait divers sur fond de jalousie, que Frida Kahlo prend à son compte alors qu’elle vient de découvrir la liaison entre son mari Diego et sa propre sœur, Cristina.

Autre peinture, La Columna Rota (1944), représentant l’artiste nue, en larmes, cheveux dénoués, dans un paysage désert, traversée en son centre par une colonne ionique fragmentée en guise de colonne vertébrale et criblée de clous, telle saint Sébastien transpercé de flèches. Frida Kahlo porte alors depuis un an un corset d’acier qui maintient douloureusement son dos à la verticale.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°621 du 1 février 2010, avec le titre suivant : Des intellos de 'mes deux'

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