XVIIIE-XIXE SIÈCLES

Crème anglaise au Sénat

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 16 janvier 2020 - 649 mots

PARIS

En partenariat avec la Tate Britain, le Musée du Luxembourg expose « L’âge d’or de la peinture anglaise » à travers un corpus riche et une scénographie bien conduite.

Paris. Le Musée du Luxembourg s’est mis depuis septembre à l’heure anglaise avec « L’âge d’or de la peinture anglaise. De Reynolds à Turner », montée en partenariat avec la Tate Britain de Londres, qui a prêté pour l’occasion 68 œuvres.

Au terme de son parcours, le visiteur aura compris en quoi le long règne de George III (1760-1820) a été un tournant fondamental pour l’art britannique, sur le plan des innovations formelles comme de l’organisation intellectuelle des artistes en sociétés ou institutions. À Paris, où l’art anglais est peu présent dans les collections permanentes (bien que le Louvre abrite une belle collection exposée en 2014 à Valence et Quimper), on ne boudera pas son plaisir, malgré quelques faiblesses d’accrochage.

D’entrée, il faut se défaire de nos référents français, et se rappeler que l’Angleterre est une île, mise sous embargo par le continent à intervalles réguliers au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Isolés, les artistes vont repenser l’« art anglais », cent ans après que la France l’a fait pour l’« art français ». Cette réflexion coïncide avec la révolution industrielle débutante qui impulse une révolution sociale et encourage l’invention sur le plan visuel, entre hommages aux classiques et renouvellement iconographique.

À l’instigation de ces bouleversements artistiques, on trouve un duo dont la rivalité enchanta les colonnes des gazettes londoniennes : Thomas Gainsborough (1727-1788) et Joshua Reynolds (1723-1792). Dans l’exposition, ils ont droit à une section spéciale intitulée « Face à face ». Bien choisis, leurs grands portraits en pied se répondent et illustrent leurs références comme leurs différences. À Gainsborough, des représentations sensibles et pleines de vitalité. À Reynolds, les jeux savants, clins d’œil à l’antique, pour peindre la très haute aristocratie. Cette distinction se nuance devant L’Honorable Miss Monckton (vers 1777, [voir ill.]) à qui Reynolds insuffle impertinence et esprit, bien dans le ton de cette intellectuelle connue pour son salon et ses excentricités. Avec Lady Bate-Dudley (vers 1787), Gainsborough fusionne presque la nature environnante avec le modèle : un portrait-paysage où son pinceau virevolte, annonçant la touche de Turner.

Le succès de la « conversation piece »

« Si notre nation parvient un jour à produire assez de génie pour mériter qu’on nous distingue du titre honorable d’école anglaise, le nom de Gainsborough sera transmis à la postérité dans l’histoire de l’art parmi les premiers de cette école naissante » : ainsi s’exprime Reynolds dans un discours prononcé à la Royal Academy, fondée en 1768. Gainsborough est mort l’année précédente, et Reynolds nourrit de grandes ambitions pour la peinture anglaise, malgré sa cécité naissante.

La génération suivante va porter le genre du portrait à un niveau jamais atteint dans un pays où Antoon van Dyck avait connu la gloire le siècle précédent. La « conversation piece, » portrait de groupe le plus souvent de petit format, héritée de l’art flamand, connaît un immense succès auprès de la bourgeoisie industrielle naissante, où l’individualisme devient une des pierres angulaires de la société anglaise. Reynolds s’amuse à représenter un petit garçon dans la pose du Henri VIII d’Holbein. Avec le portrait de Master Crew (vers 1777), le peintre pose une question, que formule le commissaire Martin Myrone dans le catalogue de l’exposition : « Ces images de pouvoir peuvent-elles encore être prises au sérieux dans une société qui ne se définit plus par les signes manifestes du rang social, mais par le caractère individuel ? »

Dans le parcours, ces questions sont extrêmement bien mises en lumière, avec des œuvres choisies et expliquées par des textes pédagogiques et clairs. Dommage que les problématiques sur l’irruption de l’aquarelle et l’essor du paysage pâtissent d’un accrochage trop succinct. On croise Turner, Constable et Füssli, en regard d’autres artistes dont l’intérêt ici n’est qu’historique. La Destruction de Sodome, par William Turner (v. 1805), aurait mérité une section autrement plus développée.

L’âge d’or de la peinture anglaise. de Reynolds à Turner. Chefs-d’œuvre de la Tate Britain,
jusqu’au 16 février, Musée du Luxembourg, 19, rue Vaugirard, 75006 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°537 du 17 janvier 2020, avec le titre suivant : Crème anglaise au Sénat

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