Courbet, précurseur du paysage moderne

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 1 avril 2006 - 861 mots

À travers une exposition événement, le Getty Center à Los Angeles présente les paysages de Courbet. Un genre que le peintre réaliste renouvela, bien avant la révolution impressionniste.

Dans le Courbet paysagiste, il y a à la fois le meilleur et le pire. Pendant longtemps, l’importance numérique de ses tableaux de paysage a en effet dévalorisé ce pan de la production de l’inventeur du réalisme pictural. Ruiné par l’affaire de la colonne Vendôme, Courbet est contraint, à la fin de sa vie, de s’adonner à de nombreux travaux alimentaires, réalisés à la hâte, voire bâclés, lorsqu’ils ne sont pas peints par son prolifique atelier qui produit des pastiches à la manière du maître. Exilé sur les bords du lac Léman, à La Tour-de-Peilz, le peintre – que certains disent alors « noyé dans le vin blanc » – trouve dans la campagne suisse un répertoire inépuisable de sujets.
Incontestablement, ces paysages, tout comme les peintures de fleurs ou les tableaux féminins de la même période, sont aussi plus vendables auprès d’une clientèle bourgeoise que les grandes compositions réalistes qui avaient fait scandale.
Le laid et l’engagement politique, qui lui ont valu la célébrité puis la ruine, cèdent alors la place à la grâce et aux séductions faciles. Avec parfois quelques éclairs de fulgurance, comme en témoigne Le Grand Panorama des Alpes de 1877, dans lequel il parvient de nouveau à exprimer la force des éléments.

Le paysage, un art majeur
Car Courbet conçoit le paysage comme un espace de liberté qui lui permet d’écrire le récit d'une émotion vécue lors de ses grandes promenades dans la campagne ou sur les bords de mer. « Pour peindre un pays, il faut le connaître. Moi je connais mon pays, je le peins. » La fidélité de Courbet à sa Franche-Comté natale s’est ainsi manifestée par de nombreux hommages paysagés : les bords de la Loue, la rivière qui coulait au pied de sa maison natale, les falaises d’Ornans ou de la vallée de la Meuse… Ce travail sur le paysage lui procure aussi l'occasion de pratiquer une forme d'introspection.

Emportés par les vagues
La nature, souvent solennelle, revêt chez Courbet l’aspect de paysages aux tonalités froides, inviolés, marqués par la force des éléments. « On ne peut contempler [...] tous ces paysages frais et éclatants, où les rochers gris, les feuillages verts et les eaux courantes se combinent de tant de façons heureuses, sans recevoir comme une bouffée d’air pur en plein visage », écrit avec justesse son ami Castagnary. Contrairement aux paysagistes issus de l’école de Barbizon, Courbet n’entretient pas ce « culte niais de la nature » (Baudelaire). Son objectif n’est pas de décrire un paysage, mais de provoquer une émotion.
Même dans ce genre a priori anodin, Courbet entend donc poursuivre sa révolution picturale. « Ses paysages ont la qualité suprême de l’horreur de la composition », commente Champfleuy. Ils sont aussi ancrés dans le réel. Les lieux sont traduits tels qu’ils existent, sans pittoresque inutile. La neige vibre du reflet changeant de la lumière. La série des Vagues, réalisée dans les années 1869-1870, aurait ainsi provoqué l’effroi des spectateurs, saisis par la dimension de la lame d’eau et sa position en premier plan du tableau, tel un portrait. La technique est elle aussi novatrice : plus massive, plus rugueuse, travaillée largement au couteau, avec une matière épaisse.

Un guide de ses voyages
Nombreux sont les critiques à avoir souligné le parallèle existant entre l’art du paysage et d’autres genres pratiqués par Courbet, notamment sa peinture érotique. Les sites caverneux, les sources de rivières n’évoquent-ils pas les profondeurs du corps humain, l'origine de la vie ? André Masson l’aurait bien compris en choisissant le thème du volet peint destiné à couvrir pudiquement L’Origine du monde, que lui avait commandé le psychanalyste Jacques Lacan : un paysage de vallée, dont les grandes lignes reprennent celles du corps impudique.
Les paysages collent donc à la vie de Courbet. Leur étude permet aussi de suivre en creux la biographie du peintre. Ils sont comme des jalons de sa vie : la Franche-Comté natale, des esquisses du début aux peintures de la maturité, le Midi découvert grâce à son mécène et ami Bruyas, la côte normande des années de célébrité, les bords du lac Léman des années de tristesse et de déchéance sociale. L’hommage à la nature y apparaît comme un moteur de son œuvre. À son arrivée à la prison de Sainte-Pélagie, où il est incarcéré après la Commune, Courbet se serait ainsi inquiété : « Pourvu que je me souvienne du soleil ».

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Courbet et le paysage moderne » présente 45 œuvres de l’artiste franc-comtois datées de 1855 à 1877. Elle constitue la première exposition monographique portant sur les paysages – pourtant abondants – dans l’œuvre du peintre. Elle a lieu jusqu’au 14 mai 2006, tous les jours sauf le lundi de 10 h à 18 h, nocturnes jusqu’à 21 h le vendredi et le samedi. Entrée libre. Au Getty Center, 1200 Getty Center Drive, Los Angeles, tél. : 1 310 440 7300. www.getty.edu/.L’exposition se déplacera ensuite à Houston de juin à septembre 2006 et à Baltimore d’octobre à janvier 2007.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°579 du 1 avril 2006, avec le titre suivant : Courbet, précurseur du paysage moderne

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