Design

ARCHITECTURE D’INTÉRIEUR

Charlotte Perriand dans son monde

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 27 octobre 2019 - 845 mots

PARIS

La nature et les arts ont nourri tout au long du XXe siècle l’imaginaire de l’architecte et designer pour une œuvre prenant la forme d’un projet de société. Plus de 400 œuvres et nombre de reconstitutions sont exposées à la Fondation Louis Vuitton.

Paris. C’est une exposition appelée à devenir… un blockbuster. Pour la première fois depuis son ouverture, il y a cinq ans, la Fondation Louis Vuitton consacre l’ensemble de ses espaces à une unique créatrice, l’architecte et designer Charlotte Perriand (1903-1999). Sans doute cette dernière aura-t-elle facilité la tâche des différents commissaires missionnés pour l’occasion en n’ayant eu de cesse de prôner une synthèse des arts. Les meubles à eux seuls ne déplaçant pas nécessairement les foules, le parcours déploie en nombre équivalent des œuvres d’art – peinture, sculpture, tapisserie, céramique… –, parmi lesquelles des Picasso, Calder, Miró, Braque, Henri Laurens… « Le monde nouveau de Charlotte Perriand » réunit au total plus de 400 pièces pour témoigner d’une carrière qui aura couvert le XXe siècle.

La présentation débute en fanfare, au sous-sol de la Fondation. On ne peut qu’être séduit par l’entrée en matière : des reconstitutions grandeur nature de l’appartement de Charlotte Perriand, place Saint-Sulpice à Paris en 1927 ; de la Maison du jeune homme pour l’Exposition universelle de 1935 à Bruxelles ; et, surtout, du stand dessiné pour le Salon d’automne de 1929. La première, aménagement révolutionnaire à l’époque, arbore des matériaux novateurs – acier tubulaire, surfaces en aluminium… –, le fameux Bar sous le toit et une originale « table extensible » permettant de multiplier le nombre de convives. L’ensemble séduira Le Corbusier lui-même, qui embauche illico Perriand. Elle a 24 ans. Mieux : la reconstitution complète du projet pour le Salon de 1929, soit 90 mètres carrés obstinément modernistes, est un moment de choix. Au-delà de l’audace d’un aménagement intérieur laissé libre, le visiteur peut se rendre compte de l’ingéniosité de Charlotte Perriand avec cette cuisine dotée de plans métalliques rétractables et cette chambre munie d’un lit monté sur rail, ce afin de faciliter le ménage.

Une grande partie de ces « reconstitutions » a été réalisée par le fabricant italien Cassina, éditeur officiel du mobilier siglé Le Corbusier ou Perriand. C’est aussi le cas de l’imposant Refuge-tonneau ici présenté. L’avantage de ces répliques est de permettre au visiteur d’apprécier à leur juste valeur et à la bonne échelle les divers espaces et leurs vertus, à commencer par le sens du détail. De la grande qualité de conception sourd néanmoins un léger trouble : il y manque cette « patine » qui, souvent, est génératrice d’émotion. Ainsi, la déambulation dans la Maison au bord de l’eau, installée sur un bassin extérieur, peut prendre l’allure d’une visite à l’intérieur d’un… « pavillon-témoin » flambant neuf.

Objets trouvés et « formes libres »

Deux univers forts nourrissent la pratique de Charlotte Perriand : la nature et les arts. Issus de la forêt de Fontainebleau ou d’une plage de Normandie, les « objets trouvés » qu’elle glane – silex, champignon d’arbre séché, vertèbre de baleine… –, ici montrés tels quels ou sous une forme photographique, et leurs contours naturels aléatoires l’ont inspirée pour inventer son mobilier en « formes libres ». Ainsi du bureau Boomerang ou de la table de salle à manger Rio, dont on peut voir le splendide dessin oblong du gabarit.

Le monde des arts, Perriand y baigne en permanence, en particulier avec le peintre et ami Fernand Léger. On peut ainsi observer de belles correspondances entre les deux créateurs. En regard d’une Nature morte (le mouvement à billes) de Léger est accroché le collier Roulement à billes que porta longtemps Perriand. De même des photographies, par cette dernière, de neige ou de glace recouvrant des éléments, sont juxtaposées à Paravent, signée du peintre.

Reconstitution de l’exposition de Tokyo

Le nombre important d’œuvres d’art illustre le contexte historique, de l’impressionnant carton pour la tapisserie Guernica de Picasso aux photomontages géants de celle qui adhère à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires et lorgne du côté du Front populaire. Ces photomontages seront montrés à l’Exposition internationale de 1937, au sein du pavillon français de l’agriculture.

Un sommet de cette connivence avec l’art est atteint avec une importante exposition, reconstituée pour l’occasion, qui fut organisée en 1955 à Tokyo et intitulée sans détour : « Proposition d’une synthèse des arts ». Dans un aménagement rationnellement pensé et un mobilier habile, la créatrice mêle ses propres productions à des tableaux ou bas-reliefs en céramique. Les tapisseries comme « Les Huits » de Le Corbusier ou ce panneau mural imaginé par Perriand à partir d’un dessin d’enfant sont de belles surprises.

Au dernier étage, le visiteur se retrouve face à une série d’« évocations » de lieux : l’appartement du collectionneur Maurice Jardot, la Galerie Louise Leiris ou l’entrée du Musée d’art moderne de la Ville de Paris que les quelques meubles exposés ne peuvent véritablement suggérer. L’art prend alors le relais.

Un petit regret : la place congrue accordée aux projets de station de ski des Arcs, en Savoie, un vaste chantier dessiné avec un soin extrême auquel Charlotte Perriand aura consacré plus de vingt ans. Pourquoi pas une reconstitution d’appartement ?

Le monde nouveau de Charlotte Perriand,
jusqu’au 24 février 2020, Fondation Louis Vuitton, 8, av. du Mahatma-Gandhi, 75116 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°531 du 18 octobre 2019, avec le titre suivant : Charlotte Perriand dans son monde

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque