Bonjour, monsieur Bruyas !

L'ŒIL

Le 1 septembre 2003 - 431 mots

Bien qu’elle s’intitule « Bonjour, Monsieur Courbet ! », c’est davantage à la rencontre d’un mécène d’exception qu’à celle du maître d’Ornans que nous invite l’exposition sur les chefs-d’œuvre de la collection Bruyas. Alfred Bruyas (1821-1877) appartient à ces quelques acteurs décisifs quoique méconnus dans l’histoire de l’art.
Ce natif de Montpellier fut d’abord un piètre peintre avant de devenir un collectionneur avisé. Il entama
sa carrière fort jeune, achetant dès vingt-deux ans les œuvres d’artistes régionaux comme Émile Loubon ou Charles Matet (qui fut en outre son professeur), et celles d’Alexandre Cabanel ou Auguste Barthélemy Glaize. Malgré leur académisme un peu fade, ces premières acquisitions permettent de comprendre l’inclination naturelle de Bruyas pour les scènes quotidiennes et pittoresques. L’exposition rend très bien compte de la rupture qui s’opère dans sa carrière en faisant contraster d’une salle à l’autre l’épanchement mélancolique d’Octave Tassaert (L’Abandonnée, La Mère convalescente) et la sensualité chatoyante de Delacroix. Puis il devient le protecteur téméraire de Gustave Courbet.
En 1853, il signe un formidable coup d’éclat en acquérant au Salon Les Baigneuses et La Fileuse endormie, deux toiles au parfum de scandale que Sylvain Amic, commissaire de l’exposition, a judicieusement disposées côte à côte. Il naît alors entre le chantre du réalisme et le mécène de « l’art libre » une amitié et une exaltation mutuelle : Courbet peint ainsi en 1853 un portrait de Bruyas, de trois quarts, l’œil volontaire, étrangement appelé « tableau solution », pour sceller une union en faveur de la solution réaliste, de la promotion des idéaux socialistes de Fourier et de Proudhon par le biais de l’art et, nécessairement, par celui de la galerie d’Alfred Bruyas. Ce dernier n’est donc pas seulement un collectionneur passif, mais aussi un protecteur actif. Courbet lui doit, entre autres, un considérable soutien financier, politique et artistique dans l’édification du pavillon du réalisme en marge du Salon de 1855. Le célèbre Bonjour, Monsieur Courbet ! constitue l’illustration la plus éloquente mais aussi la plus complexe, du rapport entre le « peintre-ouvrier », vêtu en compagnon, et le riche mécène. C’est là la marque d’une rencontre entre deux individus au tempérament très affirmé. L’accrochage de la collection de Bruyas reconstituée virtuellement sur papier montre qu’elle était concentrée autour de sa propre personne. Alfred Bruyas avait sans doute compris qu’il était à la fois un témoin privilégié de l’art de son temps, mais aussi un acteur de l’ombre absolument essentiel quant à ses évolutions.

« Bonjour, Monsieur Courbet », MONTPELLIER (34), pavillon du musée Fabre, esplanade Charles de Gaulle, tél. 04 67 66 13 46, 29 mai-12 octobre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°550 du 1 septembre 2003, avec le titre suivant : Bonjour, monsieur Bruyas !

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