Aux origines d’une révolution

Étonnamment non, et plus surprenant encore, le geste fondateur du courant qui a bouleversé l’histoire de l’art n’avait même jamais fait l’objet d’une monographie. Il faut dire que le pari était audacieux car malgré la notoriété de l’exposition légendaire de 1874, où est né le noyau dur du groupe et le terme impressionnisme, les sources sont assez maigres. L’accrochage n’est ainsi connu que par quelques témoignages, des acteurs du projet et des critiques, et par un catalogue non illustré utilisant des titres de convention. Ainsi, en dehors de quelques œuvres dont on sait avec certitude qu’elles figuraient sur les cimaises de l’atelier de Nadar, il restait de nombreuses zones d’ombre. Les commissaires ont donc mené une minutieuse enquête pour lever ces interrogations et reconstituer le corpus. En dépit de ces investigations au long cours, des zones grises subsistent et les historiennes de l’art ont dû livrer des hypothèses. Ce qui aurait pu être une exposition maintes fois vue se révèle ainsi d’une grande finesse dans son approche scientifique mais aussi dans sa philosophie. Car au lieu de rejouer la bataille « indépendants versus salonnards », le parcours montre au contraire par des rapprochements très concrets la grande porosité entre ces deux mondes. Subtile, l’exposition est également déroutante quand elle donne à voir la polysémie du groupe à ses débuts avec le travail d’artistes oubliés comme Adolphe-Félix Cals dont Le Vieux Pêcheur (1873) n’a pas à rougir du voisinage avec les toiles de Renoir. Alignant les chefs-d’œuvre et les prêts exceptionnels, l’exposition parvient à éblouir, tout en offrant un récit très pédagogique. Seul bémol : le ton très docte est un brin trop sage et pas assez incarné pour faire ressentir l’ambiance électrique et les querelles qui ont tant fait dans la construction du mythe.