Art contemporain

Dénonciation

Asco et l’image des chicanos

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 22 avril 2014 - 731 mots

La Friche Belle de Mai convie à la découverte de l’imagerie percutante d’Asco, un collectif d’artistes chicanos actifs à Los Angeles dans les années 1970-1980 et qui dénonçait la ségrégation de la communauté mexicaine.

MARSEILLE - Ils étaient quatre, répondant aux noms de Patssi Valdez, Gronk, Harry Gamboa Jr. et Willie F. Herrón III. Ils sont là beaucoup plus nombreux, puisque accompagnés par leurs amis et condisciples Ricardo Valverde, Humberto Sandoval, Oscar Castillo, entre autres. Les trublions du collectif Asco ont investi la Friche Belle de Mai, à Marseille, entraînant avec eux d’autres artistes ayant contribué à l’élaboration d’une identité visuelle pour les chicanos de Los Angeles, qui en étaient bien dépourvus.

Doté d’un nom signifiant la « nausée » en espagnol, Asco s’empare dès le début des années 1970 de la problématique de la ségrégation de la large communauté latine installée dans le quartier de East Los Angeles, et tout en s’attachant à créer une imagerie chicana va s’atteler à défier l’autorité tant politique que symbolique, qui particulièrement réprime l’usage de l’espace public pour travailler ou manifester. Ils jouent dès lors sur les stéréotypes sociaux, notamment celui de l’autre menaçant, pouvant paraître dangereux, même lorsqu’il ne l’est pas. Édifiante est cette photo intitulée Pseudoturquoisers (fotonovela) (1981), où une avenue est barrée par un groupe aligné, chacun masquant son visage en tenant un sac-poubelle, tandis qu’au sol gît un homme aux yeux bandés devant lequel est accroupie Patssi Valdez ; « la police de Los Angeles a expérimenté des méthodes de contrôle des masses sur les chicanos », aime à rappeler Harry Gamboa Jr.

Dès leurs débuts, le bitume prend donc une importance considérable dans leur production, tant s’approprier la rue relève de l’inscription d’un corps à la fois physique et social dans un espace autant physique que symbolique. Parmi leurs clichés les plus connus, First Supper (After a Major Riot) (1974) est l’un des plus marquants, qui voit les complices grimés de blanc rassemblés autour d’une table dressée sur le terre-plein central d’un large boulevard cerné de voitures, un « premier souper » aux allures de Cène urbaine qui prit place après l’évacuation d’une manifestation dans le quartier.

Dénonciation d’inégalités politiques et sociales
Ce qui frappe chez Asco, c’est une pleine conscience de la puissance de l’image, une manière de crever l’objectif et de harponner le regard de l’autre en calculant au millimètre la pose, la mise en scène, l’attitude, la lumière, les costumes. Jouant des marges du contexte hollywoodien, ils n’hésitent pas à dresser d’eux un portrait sophistiqué, où remarquablement vêtus, ils s’installent au sortir d’une bouche d’égouts, là où terminent leur course les eaux usées en provenance des studios de cinéma (Asshole Mural, 1975).

Les as de la mise en scène flirtent non sans gourmandise avec le glamour et le culte de la célébrité en s’approchant un peu plus du cinéma, dont ils reprennent les codes relatifs à la fiction, l’écriture d’une narration, la construction d’une scène et d’une imagerie, mais sans jamais rien graver sur pellicule ; manière là encore de jouer un pas de côté. De leur « No Movie » souvent absurde et drôlissime, surjouant les clichés du sexe et de la violence notamment, restent un trophée – un pendant des Oscars, où longtemps pas un chicano ne fut à l’horizon – et de délicieuses images revendiquant elles aussi un particularisme identitaire, ainsi que le proclame un cliché intitulé No Movie : Chicano Cinema (1976).

Là où est bien vue cette exposition, c’est qu’à l’espace public omniprésent, elle propose une salle de contrepoint où sont présentées des expériences plus intimes, comme les portraits de John Valadez de la fin des années 1970, ou ce cliché de 1977 d’Oscar Castillo figurant un ami en Aztèque. Ou encore, toujours pleins d’humour, Willie F. Herrón III et Patssi Valdez apparaissant, casques sur la tête, dans un miroir du salon de coiffure de la mère de cette dernière, miroir cerné de nombreuses autres images, de proches ou de célébrités (No Gel, No Perm, No Hairspray, 1974).

Les « Portraits en exil » d’Asco et des autres, outre qu’ils témoignent de l’émergence, au cours des années 1970, de nouvelles pratiques partagées par une large communauté artistique, ont finalement fait de la politique sous couvert d’une apparente légèreté. C’est sans doute ce qui est le plus fort.

Asco

Commissariat : Céline Kopp, Chon Noriega, Pilar Tompkins Rivas
Nombre d’artistes : 11

ASCO AND FRIENDS : EXILED PORTRAITS

Jusqu’au 6 juillet, Friche Belle de Mai, 41, rue Jobin, 13003 Marseille, tél. 04 95 04 95 95
www.lafriche.org
tlj sauf lundi 13h-19h.

Légende photo
Vue de l'exposition « Asco and Friends: Exiled Portraits », Triangle France, Marseille, avec de gauche à droite, de bas en haut : Patssi Valdez, Cyclona and Victor Herrera, 1980 ; Ricardo Valverde, Dia de los Muertos (Paper Fashion Show) with Diane Gamboa, 1983 ; LoterÁ­a de los Muertos, 1983-1993; Teresa de Paper (Paper Fashion Show), 1982-1991.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°412 du 25 avril 2014, avec le titre suivant : Asco et l’image des chicanos

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