7 clefs pour comprendre la photo publicitaire

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 6 août 2007 - 1256 mots

Depuis l’alliance scellée avec la publicité dans les années 1920-1930, la photographie s’est avérée un moyen d’expression propre. L’exposition des Arts déco lui confère ses lettres de noblesse.

 Quand la réclame passe à la pub
Jadis le texte, aujourd’hui l’image. Corollaire de la révolution industrielle et du développement d’une société médiatique, la réclame s’est imposée dans le courant du xixe siècle comme le vecteur le plus approprié de l’art de vendre. Au xxe, ce moyen de persuasion qui faisait la part belle au texte et au dessin d’illustration s’est vu rapidement balayé par une nouvelle forme d’expression, la publicité. Le recours à la reproduction photographique et au simple slogan frappé de quelques mots s’avéra très vite bien plus porteur que tout discours délié, aussi élogieux fût-il.
L’introduction de la photo dans l’arsenal des techniques de vente que marque l’avènement de la photographie publicitaire est contemporaine de l’« esprit nouveau » des années 1920-1930. Son essor s’accompagne par ailleurs de la transformation du rôle des agences de publicité, lesquelles ne se cantonnent plus à la seule vente d’espaces, mais interviennent directement dans la conception, l’illustration et la présentation.

De l’art de vendre à la vente comme art
Dans la foulée des avant-gardes du début du xxe siècle, l’évolution considérable que connaissent des disciplines comme le graphisme, la typographie ou la mise en page contribue à favoriser le développement de la photographie publicitaire. Aussi, la publicité devient-elle le terrain de prédilection d’artistes curieux d’expérimenter toutes sortes d’innovations plastiques, au premier chef desquels Man Ray. Très vite, celle-ci fait l’objet d’articles dans la presse artistique à l’égal d’autres moyens d’expression quand elle ne l’est pas de numéros spéciaux.
Édité par The Studio à partir de 1922, Commercial Art publie chaque année un numéro spécial consacré à la publicité, intitulé « Modern Publicity » en 1930. Tandis que Printer’s Ink, fondé à New York en 1888, débat des grands thèmes d’actualité publicitaire, Roger-Louis Dupuis crée en France Vendre en 1923 et Charles Peignot lance Arts et Métiers graphiques quatre ans plus tard. Photographie et arts plastiques donnent ainsi naissance à ce que certains appellent une « nouvelle littérature visuelle ».

Exercice de style avec contraintes
À la différence d’autres pratiques artistiques conduites en toute liberté de contenu, la photographie publicitaire a ceci de particulier qu’elle procède d’une commande. Comme elle repose sur un objectif précis de promotion d’un produit, elle oblige le créateur qui est en charge d’en inventer une publicité de respecter un cahier des charges.
Aussi, l’art publicitaire est-il un art fortement réaliste et l’artiste qui l’exerce se doit-il de trouver une forme qui ne néglige jamais l’objet ou la cause qu’il doit illustrer. Comme il en est de la pratique de la commande, l’artiste reste souvent anonyme. S’il veut être reconnu, il lui faut donc s’inventer un style très singulier.
Si des créateurs aussi divers que Paul Outerbridge (les cols Idestyle), Jeanloup Sieff (Yves Saint Laurent), Jean Larivière (Vuitton) ou Serge Lutens (Shiseido) y sont parvenus, c’est pour beaucoup à la notoriété de l’enseigne pour laquelle ils ont travaillé qu’ils le doivent. Leur nom y est comme définitivement accroché.

L’objet, star de la publicité
Née à la fin des années 1920, la photographie publicitaire – qui se donne pour objectif de montrer et de mettre en valeur qualités et fonctions d’un objet – ne pouvait qu’adhérer à l’esthétique de la « nouvelle vision » qui imposait alors ses canons. Le photographe opère quasi exclusivement dans l’espace clos du studio, s’appliquant à jouer toutes les mises en scène possibles, de sorte à faire ressortir la quintessence de son motif. Il y multiplie les jeux de lumière, les reflets, les brillances, les compositions savantes, les cadra- ges inédits… Les images d’Edward Steichen réalisées vers 1927 pour les cigarettes Camel, ou celles de Maurice Tabard prises en 1928-1929 pour les pneus Michelin, en sont de magnifiques exemples.
Des dizaines d’années plus tard, celle de Peter Knaup pour le chocolat Lindt (1992) témoigne de la persistance d’un mode qui est loin d’être obsolète. Du réalisme à l’hyperréalisme, la photographie publicitaire démontre ainsi qu’elle n’a jamais cessé d’être en parfaite phase avec le monde des arts plastiques.

Échange de bons procédés
Des rapports entre la peinture et la photographie, l’histoire de l’art abonde en de si nombreux allers-retours qu’il n’est pas toujours aisé de faire la part des choses. Tandis qu’à la fin du xixe siècle, l’une s’ouvre avec les Nabis à la publicité, au début du xxe, l’autre se fait pictorialiste. Cette qualité-là se retrouve dans toute une partie de la production photographique publicitaire qui vise
à se démarquer de la domination de l’objet.
À l’effet de réalité, sont privilégiés les mondes du rêve et de l’illusion, l’aventure abstraite et surréaliste opérant en influence. L’œuvre de Sarah Moon est caractéristique de cette manière.
L’artiste joue avec le grain des films couleur qu’elle utilise et les effets de floutage ; elle enrichit ses images en grattages et détériorations, usant par ailleurs du mouvement comme effacement des premiers plans. Ce faisant, elle s’applique à créer une image mémorable, comme en témoignent ses campagnes pour Cacharel qui ont notamment fait sa réputation.

La french touch de Jean-Paul Goude
En équilibre sur sa jambe gauche, l’autre relevée en arrière, les bras tendus à l’horizontale, le corps luisant, quasiment nu, le visage de profil, le buste de face, la silhouette noire ébène de Grace Jones demeure l’image la plus forte imaginée par Jean-Paul Goude.
Fondée sur la combinaison d’artefacts et d’êtres de chair, la démarche de créateur hors pair procède de la transfiguration de fantasmes personnels qu’il réussit à passer à l’ordre non seulement public mais mythologique.
Directeur artistique à trente ans du magazine américain Esquire, Goude a travaillé pour différentes grandes marques, telles Orangina, Kodak, Citroën, Chanel… Pour le sociologue Edgar Morin, c’est un véritable « apprentisorcier » qui réalise ses fantasmes « en utilisant dessin, design, photo, tissus, habillages, fards, chair, mouvements du corps et enfin, surtout, le corps lui-même ».
Jean-Paul Goude est le créateur du concept de « french correction », une technique qui fait référence à la pratique de la prothèse et qu’il a élevée au rang d’une esthétique.

Fantastique numérique
Parce qu’elle est par nature aux avant-postes de toute innovation, la photographie publicitaire a très tôt intégré les nouvelles technologies. Si l’avènement du numérique lui ouvre les portes d’un imaginaire complètement inédit, elle ne s’y est pas pour autant engouffrée aveuglément, retenue qu’elle est par un cahier des charges toujours contraignant. Les possibilités de manipulation de l’image l’ont toutefois conduite à développer une forme esthétique nouvelle qui renvoie le regardeur dans un monde autant futuriste que fantastique.
Auteur de campagnes publicitaires pour Playstation, Festina, Adidas, Absolut Vodka, etc., Dimitri Daniloff, trente-six ans, est passé maître en la matière. Ses images qui font l’objet d’un trafic particulièrement élaboré procèdent de la plus pure tradition du photomontage.
Si elles décrivent un monde qui peut paraître dérangeant, elles n’en sont pas moins fascinantes et il est impossible d’y rester indifférent. C’est dire leur efficacité en termes de publicité !

Autour de l’exposition

Informations pratiques « La photographie publicitaire en France de Man Ray à Jean-Paul Goude » du 8 novembre 2006 au 25 mars 2007. Musée des Arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, Paris Ier. Métro : Palais Royal-Musée du Louvre, Tuileries, Pyramides. Ouvert du mardi au vendredi de 11 h à 18 h, le jeudi de 11 h à 21 h, le samedi et le dimanche de 10 h à 18 h ; fermé le lundi. Tarifs : 6,50 € et 8,50 €. Tél. 01 44 55 57 50, www.lesartsdecoratifs.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°588 du 1 février 2007, avec le titre suivant : 7 clefs pour comprendre la photo publicitaire

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