Art contemporain

Yona Friedman : « Ce que vous percevez comme un décor est mon monde »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 17 juin 2014 - 769 mots

La galerie MFC-Michèle-Didier, à Paris, présente les dessins tirés du recueil « 1001 jours 1 nuit » de l’architecte et artiste Yona Friedman.

De branchages couvrant les murs émergent les dessins aux accents tribaux de 1001 jours 1 nuit. À la galerie MFC-Michèle Didier, à Paris, l’architecte et artiste Yona Friedman donne à redécouvrir ce recueil de dessins des années 1960 qui, pour l’occasion, fait l’objet d’une édition.

Dans quel contexte ont été pensés les dessins de « 1001 nuits 1 jour » ?
J’ai eu vers la fin des années 1950 ou le début des années 1960, un petit atelier boulevard Pasteur, à Paris. J’y ai fait un peu partout des dessins qui ont fini par constituer un décor, mais qui n’ont pas été faits pour décorer. Je comprends mal les artistes qui font des objets d’art et les enferment dans des armoires. Quand je fais quelque chose, je le fais pour moi, pas pour le marché de l’art. Tous ces petits dessins que je ne peux plus faire maintenant car je n’ai plus la place, là-bas il y en avait donc un peu partout et je les ai regroupés pour ce livre. Depuis les années 1980, j’ai quitté cet atelier pour m’installer ici, dans mon appartement actuel, puis nous l’avons vendu à la fin des années 1990. J’ai donc dû démonter tout ce décor et c’est là que nous avons pensé que cela pourrait faire un livre. Jean-Baptiste Decavèle a fait des photos digitales de tous les dessins. Et lorsque j’ai reçu cette proposition de Michèle Didier, ce qui est en réalité une collection de dessins détachés est devenue un livre. Mais j’ai le projet de sortir avec le CNEAI (Centre national d’art contemporain consacré au domaine de la publication d’artiste et de l’œuvre-média) un petit livre d’une centaine de pages en format de poche qui touchera un public différent. Le public de la galerie est constitué de collectionneurs et d’amis des arts. En revanche, le format de poche touche tout le monde et ce public m’intéresse, car je ne suis pas un artiste professionnel qui produit des objets pour des raisons commerciales. Je fais des objets parce que le sujet même m’intéresse ou que cela me plaît.

Dans votre appartement actuel, comme dans cet ancien atelier, le décor semble être très important. Est-ce pour vous une nécessité ?
Ce n’est pas un décor. Ce que vous percevez comme un décor est mon propre monde ; j’ai créé un univers personnel qui me plaît, avec autant de défauts et de différences que dans le monde réel. Je suis un artiste et je vis dans un cadre artistique, comme n’importe quelle personne. Une ménagère qui choisit de mettre un napperon de telle ou telle manière, c’est une décision esthétique, elle vit dans ce cadre de vie. Je suis comme la ménagère ! L’œuvre d’art n’est pas un concept naturel. Un objet est qualifié d’œuvre d’art car on le décide : « je jure que c’est une œuvre d’art ». C’est l’urinoir de Duchamp, le readymade, c’est un concept commercial. L’objet c’est une réalité, cela a toutes sortes d’effets psychologiques, c’est ce qui est important.

Pourquoi ressentez-vous la nécessité de vivre et travailler dans un appartement-atelier ?
J’ai besoin de mon univers qui n’est ni un appartement ni un atelier. Ce monde, on le crée partout. Sa création commence en choisissant un point de référence. Ensuite, les choses se placent autour et puis, vous commencez à intervenir : vous tirez le rideau, vous tournez les objets dans un sens ou un autre. Chacun fait sa création du monde. J’agis de même dans l’architecture : j’imagine un monde, mais l’usager le recrée à sa manière, c’est donc une architecture mobile qui peut changer. C’est la raison pour laquelle j’ai employé l’expression « l’improvisation dans l’architecture », parce que les créations du monde sont improvisées.

Vous montrez avec cette édition le prototype d’un mural de forêt vierge…
J’aime bien la jungle. J’ai fait des dessins de jungle que j’ai voulu mettre chez moi comme décor, mais je n’ai pas la place. Il y a quelque temps, j’ai imaginé ce que j’appelle le Tree Museum : un musée des arbres qui utilise les arbres pour y exposer des objets. L’exposition dans le jardin est une idée qui vient de l’Antiquité. Pourquoi ne pas la reprendre ? C’est peu coûteux et offre une spatialisation par la forêt, cela forme une architecture. Dans la galerie, j’ai donc souhaité la présence d’objets et j’imaginais ces dessins exposés dans les arbres. Utiliser les arbres comme lieu d’exposition est quelque chose de naturel, les enfants l’ont toujours fait.

YONA FRIEDMAN. 1001 NUITS 1 JOUR

Jusqu’au 9 août, MFC-Michèle Didier, 66, rue Notre-Dame de Nazareth, 75003 Paris, tél. 01 71 97 49 13, www.micheledidier.com, tlj sauf dimanche-lundi 12h-19h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°416 du 20 juin 2014, avec le titre suivant : Yona Friedman : « Ce que vous percevez comme un décor est mon monde »

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