PAROLES D’ARTISTE

Yan Pei-Ming

« Monna Lisa n’est pas de la peinture ! »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 3 mars 2009 - 807 mots

Au Louvre, avec une installation de cinq toiles, Yan Pei-Ming se confronte au tableau le plus célèbre au monde dans une réflexion touchante sur l’hommage et le deuil.

Vous avez répondu à l’invitation lancée par le Louvre en vous « attaquant » à La Joconde. Comment vous en êtes-vous emparé ?
J’ai visité le musée en compagnie de Marie-Laure Bernadac, qui y est chargée de mission pour l’art contemporain. Elle m’a montré des lieux possibles et m’a demandé de faire une liaison avec des peintures anciennes. J’ai immédiatement pensé au portrait de Monna Lisa. On pouvait très bien imaginer que je n’oserais pas me confronter à la peinture la plus célèbre au monde, mais j’ai justement voulu faire un contre-pied. Je me suis positionné comme l’œil du touriste. Celui qui visite le Louvre va forcément voir La Joconde. Un artiste invité pour une exposition temporaire, c’est comme un touriste qui passe au musée. Je suis ici un peu un touriste artiste. M’attaquer à Monna Lisa était pour moi une évidence !

Votre intervention s’intitule Les Funérailles de Monna Lisa. Pourquoi les funérailles ?
Quand le sujet a été fixé – le portrait de Monna Lisa –, s’est posée la question de savoir de quelle manière je voulais la représenter. L’espace que l’on m’a offert est formidable car il est situé dans l’axe du dos de la toile de Léonard de Vinci. J’ai donc imaginé de faire son ombre, comme s’il s’était agi d’une projection. Les teintes sont grises. Entre le vrai et l’ombre, des siècles se sont écoulés. C’est dans l’ombre que l’on traverse le temps, et de là que vient le titre.

L’œuvre est composée de cinq tableaux : une nouvelle Monna Lisa encadrée par deux paysages jonchés de crânes humains, à la perpendiculaire desquels se font face votre autoportrait mourant et un portrait de votre père. Pourquoi ce traitement si sombre ?
Les deux paysages sont venus de l’idée d’imaginer le portrait de Monna Lisa hors-cadre, de prolonger le paysage qui court dans son dos. Il y a donc une sorte de rivière embrumée et des rochers auxquels j’ai rajouté des crânes qui sont un autoportrait, car ils sont exécutés d’après un scanner de mon propre crâne. J’avais envie de participer également à ces funérailles, de les accompagner personnellement ! J’y ai donc ajouté un portrait de mon père sur son lit d’hôpital, il est décédé en 2003. En même temps, il regarde son fils qui est en train de mourir. Il est pour moi très important de savoir comment on peut imaginer un père voir mourir son fils. C’est comme le cheveu blanc qui pleure le cheveu noir ; l’inverse est beaucoup moins intense. Voir mourir son fils, je crois que c’est une douleur absolue.

La mise en scène de cette douleur absolue répond-elle à un besoin particulier ?
Dans les galeries de peintures environnantes, la guerre et la mort sont très présentes. Ici, j’ai voulu élaborer une sorte de trinité : le père, le fils et Monna Lisa. Je crois qu’au Louvre je voulais être accompagné par mon père, lui donner une sorte d’éternité. Sa mort a été pour moi une douleur dont je porte encore le deuil. Ça me rend donc heureux de faire son portrait, surtout pour une exposition importante. Je voulais qu’il me regarde en face.

Placer dans le paysage des crânes qui sont un autoportrait revient-il à vous projeter vous-même dans la mort ?
C’est une peur de mourir en réalité, même si je sais que c’est inévitable. À partir de ce moment-là je veux donc voir le futur. Qu’y a-t-il après la mort ? La représentation de mon propre crâne en peinture.

Votre installation a quelque part un aspect peinture d’Histoire. Avez-vous souhaité vous confronter à ce genre-là ?
Je crois que oui, j’ai toujours fait des portraits de personnalités marquantes dans une histoire, des portraits qui ont une inscription dans une quotidienneté. Je ne peux pas faire de peinture hors de l’histoire sociale ou politique. Je traite toujours de sujets qui m’intéressent et m’interpellent dans un monde de l’information et de l’image.

Dans votre représentation de Monna Lisa, avez-vous fait le portrait d’une femme ou celui d’une peinture ?
Le portrait d’une femme, car c’est la femme qui m’intéresse, le mythe autour d’elle, et pas la peinture de cette femme. Je fais rarement des portraits féminins, mais je me suis dit ici que Monna Lisa posait pour moi. C’est sans doute un peu orgueilleux, mais cela m’a donné une liberté d’expression. Et puis je pense qu’un touriste ne voit pas du tout la peinture, il voit Monna Lisa, la femme. C’est ce qui m’intéresse : Monna Lisa n’est pas de la peinture !

YAN PEI-MING. LES FUNERAILLES DE MONNA LISA, jusqu’au 18 mai, Musée du Louvre, 75001 Paris, tél. 01 40 20 50 50, www.louvre.fr, tlj sauf mardi 9h-18h, mercredi et vendredi 9h-22h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°298 du 6 mars 2009, avec le titre suivant : Yan Pei-Ming

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