PAROLES D’ARTISTE

Xavier Veilhan

« Je m’intéresse aux images rémanentes, aux fantômes »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2008 - 802 mots

Un requin à facettes (Le Requin, 2008), un attelage redéfini par le mouvement (Vibration Amish, 2008), des motifs qui procèdent de la suppression de la matière (Lithophanies, 2008)... Dans les deux espaces de la galerie Emmanuel Perrotin, à Paris, Xavier Veilhan réfléchit à l’apparition, la définition et la permanence de l’image.

Cette exposition s’intitule « Furtivo », comme un film qui n’est pas projeté ici. Est-ce que les œuvres découlent de ce film ?
Le film est parti d’une œuvre, d’une Lithophanie réalisée à partir d’une photo que j’ai prise du Lingotto, l’immeuble historique de Fiat à Turin. J’ai rencontré les héritiers de la famille Agnelli et réalisé qu’ils possédaient le Stealth, ce bateau que je connaissais par ailleurs et qui m’intéresse. Il y a toute une histoire qui s’est construite un peu naturellement, et pendant que je réfléchissais au « maigre » scénario du film, qui est plutôt constitué de visions, j’ai pensé à des images qui n’étaient pas forcément destinées au film. Certaines sont devenues des œuvres et d’autres des scènes du film. Il y a une sorte de bifurcation, mais ce ne sont pas du tout des éléments de décor du film qui sont présents ici, plutôt des choses qui ont été créées simultanément et dans la même ambiance générale. Je n’ai pas voulu montrer le film vidéo projeté comme une pièce au milieu de l’exposition. Il nécessite d’être bien installé. J’espère que nous pourrons le faire par la suite, dans un cinéma.

Qu’entendez-vous par « Furtivo » ? Y a-t-il une idée générique derrière cela ?
Depuis longtemps, je m’intéresse aux images rémanentes, aux fantômes, pas dans le sens morbide, mais plutôt dans celui de la perfection. Il y a eu les Paysages fantômes, les Light machines, des pièces abordant la frontalité et en même temps la disparition. J’ai voulu ici prolonger un peu cette exploration avec des œuvres toutes très différentes, dans une ambiance assez homogène. Il n’y a pas, par exemple, de lumière électrique dans l’exposition. L’éclairage se fait soit à la bougie soit à la lumière du jour, ce qui est une manière de se donner une forme d’autonomie par rapport au lieu.

Essayez-vous de créer une atmosphère propice afin que le spectateur développe lui-même l’image que vous lui donnez à voir, mais qui n’était pas complètement terminée ?
Absolument oui. Mais c’est fait avec des moyens extrêmement pratiques, qui ont aussi un lien avec l’origine des pièces. Avant d’aller dans un lieu, par exemple en vacances chez des amis qui me décrivent leur maison, je vais développer une image mentale qui ne sera jamais conforme à l’expérience du lieu. L’art, c’est un peu cela. Trouver comme des terrains d’entente, et créer une distance, une sorte de décalage, comme s’il s’agissait d’une espèce de projection mentale, mais toujours perçue dans le rapport au réel.

Il y a beaucoup de choses entre apparition et disparition, particulièrement avec les Lithophanies…
Les Lithophanies, comme souvent dans mon travail, sont une adaptation très contemporaine, avec les moyens d’aujourd’hui, d’une technologie ancienne. Il s’agit de l’utilisation d’une résine plus ou moins transparente, et c’est cette transparence rétroéclairée, à la bougie, qui crée une image. Les valeurs foncées sont donc données par une grande épaisseur de matière, et les valeurs claires par une épaisseur moindre, donc plus transparente. Ce qui est intéressant, c’est qu’une sorte de bas-relief devient l’image, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’impression, il n’y a pas d’image en fait, mais pourtant tout le monde est d’accord sur ce qu’il voit. Cela questionne ce que l’on regarde, comment on l’intègre, comment on le décode. Là, en l’occurrence, c’est une série de volutes ou de nuages, donc insaisissables et immatériels.

En visitant l’exposition, on a l’impression de quelque chose de fugitif, de l’instant, du mouvement potentiel. S’agit-il d’une course dans le temps ?
En fait, il y a toujours cette tension entre la pérennité de l’art, immuable, et le côté extrêmement fugitif de tout le reste, de la vie. L’intéressant c’est que nous sommes dans un ensemble qui n’existe que par son dynamisme. Tout l’environnement est strictement dynamique, il n’y a rien d’inerte. Au niveau de la réalité physique du monde, c’est quelque chose de prouvé. Ici, il y a des références directes à Étienne-Jules Marey, avec l’attelage, par exemple. J’ai toujours l’impression que la manière dont on peut capter le contemporain est vraiment liée à une façon de le replacer dans l’histoire et donc de lui donner une sorte de dynamique qui fait qu’il est voué à être renouvelé et dépassé. Ce n’est pas quelque chose que je souhaite strictement développer d’une manière rhétorique, mais c’est très clairement une composante de mon travail.

XAVIER VEILHAN, FURTIVO, jusqu’au 26 avril, Galerie Emmanuel Perrotin, 76, rue de Turenne et 10, impasse Saint-Claude, 75003 Paris, tél. 01 42 16 79 79, www.galerieperrotin.com, tlj sauf dim.-lun. 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°278 du 28 mars 2008, avec le titre suivant : Xavier Veilhan

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