A vue de nez

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 22 septembre 2015 - 441 mots

Diffuseur de parfum L’objet est pour le moins énigmatique. Selon le néologisme inventé, en 1933, par l’artiste, inventeur et mathématicien Paul Schatz, sa forme s’intitule « oloïde » – un ovoïde avec des lignes droites… – pour désigner « une enveloppe convexe de deux cercles orthogonaux passant chacun par le centre de l’autre ».

D’aucuns, familiers du marché aux poissons de Tsukiji, au Japon, auraient tôt fait de penser à l’un de ces mollusques bivalves géants, dont on sait les aquariums de cette institution tokyoïte truffés, à la différence près que sa « robe » n’arborerait pas l’habituel bleu ardoisé, mais l’argenté. Il n’en est rien. Il s’agit plus trivialement d’un diffuseur de parfum, version haut de gamme néanmoins. Dimensions : 30 cm de haut sur 12 de long et 12 de large. Matériau : argent massif (« 950/1000 », pour les spécialistes). Son nom : Osmos. Dessiné par le designer Felipe Ribon, il a été façonné à la main par l’orfèvre parisien Nicolas Marischael, grâce à la technique dite d’« usinage au marteau ». En clair : le martelage s’effectue avec une extrême précision, la fluidité du geste garantissant la fluidité de la silhouette finale.

La pièce est quasi d’un seul tenant, n’était-ce une fine ligne de soudure appliquée le long de l’arête latérale. « En collaboration avec l’Osmothèque de Versailles, j’ai effectué des recherches sur le parfum, son mode de fabrication et de diffusion, raconte Felipe Ribon, ce qui m’a permis de définir la technologie à employer. » La mise au point de l’engin a donc été réglée avec minutie. D’abord, son contenu : destinée à diffuser des molécules odorantes dans un espace domestique, cette carapace d’argent dissimule en son sein une « poche » contenant des billes olfactives. Ensuite, son système de fixation : accroché à un câble de coton, le diffuseur se pend verticalement, tel un fil à plomb. Une fois suspendu, sa masse lui accorde la force d’inertie nécessaire pour entraîner un mouvement giratoire. L’objet peut ainsi tourner sur lui-même en un mouvement perpétuel, tel un derviche tourneur. Grâce à ses deux fentes, le corps creux fonctionne comme un tunnel aérodynamique : la mise en mouvement provoque un courant d’air ascendant qui, en effleurant les billes olfactives, libère les molécules odorantes. Le diffuseur brasse alors son parfum en même temps qu’il le dissipe avec, paraît-il, une intensité constante et sans émission de particules allergènes ou toxiques. L’expérimentation ne devrait pas en rester là : « On a déjà pensé à un travail de développement autour de la pièce et de sa fonction, notamment pour en faire un assainisseur d’air », indique le designer. Affaire à suivre…

A savoir
Né à Bogota en 1981, Felipe Ribon a étudié un an à l’École des mines de Nantes, avant d’intégrer l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI) à Paris, d’où il est sorti diplômé en design industriel, en 2008. www.feliperibon.com

A voir
Avec Osmos, Felipe Ribon et l’orfèvre Nicolas Marischael ont décroché, en juin, le 16e prix Liliane Bettencourt pour l’intelligence de la main, catégorie Dialogues. L’objet, unique, est visible, jusqu’au 2 novembre, dans l’exposition « Corps subtils » présentée au Musée des arts décoratifs, 39, rue Bouffard, Bordeaux (33)

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°683 du 1 octobre 2015, avec le titre suivant : A vue de nez

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