Marie-Christine Dorner

Vice de forme

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 22 octobre 2004 - 614 mots

Imaginer une forme, la conserver telle quelle, l’agrandir ou bien, au contraire, la rapetisser, enfin et surtout, la frotter à différentes matières. Voilà, en résumé, le projet « Une Forme, One Shape » de Marie-Christine Dorner, designeuse française installée depuis 1996 à Londres. « Cette forme, explique-t-elle, je l’ai élaborée afin qu’elle serve différentes fonctions uniquement par un changement de dimensions et de matériaux. » Aussi a-t-elle opté en faveur d’un anneau un peu large et carré, aux angles arrondis et aux côtés cintrés, et dessiné dix-huit pièces, objets ou meubles, qu’elle a fait produire en France, aux Philippines et au Japon. On trouve, en vrac : un tabouret en polyuréthane, un pendentif en or, une table en teck massif, ou encore un banc en rotin.
Problème : la forme choisie se révèle banale et ne laisse que peu de place à la liberté ou à la surprise. Pis, celle-ci induit déjà, intrinsèquement, la plupart des fonctions que lui octroie Dorner. Au premier coup d’œil, on soupçonne que ce « cube évidé » pourrait aussi bien devenir une table basse qu’un tabouret ou un cache-pot, selon la manière dont on le dispose et le matériau dans lequel il est fabriqué. Dès lors que l’objet est identifiable, il perd de son intérêt, en particulier à cause de ce postulat formel. Peu de pièces échappent à ce constat, sauf, peut-être, ce beau plateau à fruits, en bambou. Deux raisons à cela : sa forme, légèrement aplatie, sait se faire diaphane, mais surtout celle-ci est sublimée par la matière.
Trop élémentaire, la forme choisie par Dorner souffre davantage quand l’échelle augmente. Passent encore les gabarits réduits (pendentif, bagues…), plutôt délicats, même s’ils ont un petit air de déjà-vu en matière de bijouterie. Mais lorsque la forme s’agrandit, comme c’est le cas, notamment, de cette pièce baptisée Passage, « sas » en résine et fibres de verre d’une hauteur de 2,10 mètres, ressortent alors fatalement des problèmes de dimensions, de matière, de couleur et surtout d’usage… Bref, quoique périlleux, cet exercice pose néanmoins une bonne question : peut-on faire dire tout – et n’importe quoi – à une forme unique ?
En 2002, à la Biennale internationale de design de Saint-Étienne, étaient exposés des travaux qu’un groupe d’étudiants de l’école des beaux-arts avait réalisés lors d’un atelier dirigé par les designers Fabien Cagani et Laurent Matras (Delo Lindo). À rebours de la célèbre formule chère à Sullivan – « La forme suit la fonction » –, le duo avait alors proposé à ses étudiants de travailler à partir d’une forme étrange, en réalité une pièce détachée d’un appareil électroportatif. Ces derniers ne connaissaient ni l’origine de cette forme, ni ses dimensions, mais devaient lui affecter une fonction, une échelle précise et un matériau. Le résultat – une radio, un pendentif en cuivre poli, un lustre en Pyrex, un bassin en polyester moulé et une volière en métal laqué – fut des plus séduisants.
La première différence entre la forme choisie par les Delo Lindo et celle de Marie-Christine Dorner est sa complexité. La silhouette inconnue des premiers a eu l’avantage de se prêter à de multiples interprétations. Nul ne pouvait, en effet, imaginer qu’elle puisse se matérialiser avec autant d’aisance en bijou, à la forme originale, et, inversement, en une volière de quatre mètres de haut. La seconde différence est que cet atelier mené par les Delo Lindo n’était qu’un moyen d’explorer de nouvelles méthodologies de conception, non une fin en soi. Un exercice d’école qui, dans ce cadre précis, avait déjà trouvé ses limites.

Marie-Christine Dorner : une forme, One Shape

Jusqu’au 20 novembre, galerie Haute Définition, 4, passage du Grand-Cerf, 75002 Paris, tél. 01 40 41 16 00.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°201 du 22 octobre 2004, avec le titre suivant : Vice de forme

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