Maison rouge

Une vie de chien

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 14 décembre 2010 - 717 mots

L’exposition organisée par cinq fondations européennes tente de donner une tonalité commune à des sensibilités diverses.

PARIS - Réunir dans une même exposition les sensibilités distinctes des cinq fondations privées regroupées depuis 2008 dans l’association Face (Foundation of Arts for a Contemporary Europe) relève de la gageure. Tel est pourtant le pari de l’exposition les « Les recherches d’un chien », composée d’œuvres de la Deste Foundation (Athènes), d’Ellipse Foundation (Cascais, Portugal), de la Fondation Sandretto Re Rebaudengo (Turin), de Magasin 3 Stockholm Konsthall (Suède) et enfin de la Maison rouge (Paris).  Il n’est pas aisé de tracer une ligne dans cet étoilement, où l’éclectisme et l’humour des uns le dispute au sérieux compassé des autres. La mixtion n’avait d’ailleurs pas fonctionné lors de la première étape de cet événement accueilli par la Fondation Sandretto Re Rebaudengo en 2009. Les pièces semblaient alors sèchement juxtaposées dans un parcours aseptisé. À la Maison rouge, les mêmes œuvres entonnent un dialogue ténu. Plus fluide, la déambulation autorise des perspectives multiples tout en déroutant souvent le visiteur. Inspiré d’une nouvelle de Kafka, le titre sibyllin se présente comme un jeu de piste. Dans ce texte, un chien interroge son identité canine et se détache peu à peu de ses congénères panurges et bêtifiés. Aussi l’exposition a-t-elle voulu mettre en avant des artistes qui, à l’image de ce chien, réfléchissent aux questions politiques et sociales.

Chaque fondation a prêté six à huit œuvres, au travers desquelles se dessinent les identités respectives. Identités nationales d’une part, avec la valorisation par chacune des structures de quelques artistes locaux, comme DeAnna Maganias, artiste grecque dont Dakis Joannou montre une sculpture, ou la Suédoise Annika von Hausswolff et son travail sur l’aliénation choisi par Magasin 3. Identité des collectionneurs ensuite. D’entrée de jeu, l’exposition porte le sceau de Joannou. L’artiste Roberto Cuoghi le représente de profil, en camée, tel un empereur romain, greffé, petite touche irrévérencieuse, d’ailes de harpie. Le collectionneur apparaît en potentat et mécène, mais aussi en monstre assoiffé (d’œuvres ?). En face, un animal de Fischli & Weiss, également prêté par Joannou, semble donner corps à ce chien en quête existentielle. 

Protestation mutique
Le préambule pose clairement les deux axes de l’exposition, le regard du collectionneur et celui de l’artiste. Regard de ce dernier sur l’humain, avec les employés d’une distillerie écossaise se tenant, silencieux, face à la caméra de Philippe Bazin. Regard sur la fragilité du marginal dans la Russie post-communiste avec une photographie de Boris Mikhailov. La corne d’abondance de Martin Parr, gros plans de nourriture dégoulinante et de jouets kitsch, offre un contrepoint insoutenable à la misère. Mais, face à l’injustice et au consumérisme, la protestation se fait statique, avec le grand néon éteint Strike [« Grève] de Claire Fontaine, ou mutique, dans cette marche silencieuse filmée par Mircea Cantor. Les manifestants portent sur leurs pancartes des miroirs réfléchissant un monde déformé. Cette pièce, parmi les plus fortes de l’exposition, traduit involontairement l’un de ses travers, le kaléidoscope. Car peu à peu, la promenade se délite, la compréhension se brouille avant de retrouver un sens dans une salle traitant de l’identité afro-américaine, avec David Hammons et Kara Walker, et du racisme avec William Kentridge (History of the Main Pain).

La personnalité des collectionneurs reprend ses droits dans la dernière salle étrangement baptisée « Alchimie ». Ceux qui s’étonnaient de ne pas avoir encore vu de pièces de Jeff Koons, artiste favori de Dakis Joannou, ni de Maurizio Cattelan, créateur fétiche de Patrizia Sandretto Re Rebaudengo, sont servis. Mais ces artistes sont présents à travers des pièces peu spectaculaires. L’exposition déjoue aussi les hiérarchies communes en glissant au milieu de ces vedettes une œuvre de Stéphane Thidet appartenant à Antoine de Galbert. À leur façon, ces créateurs escamotent le sens premier des choses et jouent sur le trompe-l’œil. Quand Cattelan pervertit une enseigne de bar en y insérant le sigle des Brigades rouges, Thidet crée l’illusion d’un terril de charbon avec un monticule de confettis noirs. De là à parler d’alchimie, le saut est abusif.

LES RECHERCHES D’UN CHIEN

Jusqu’au 16 janvier 2011, La Maison rouge, 10, bd de la Bastille, 75012 Paris, tél. 01 40 01 08 81, du mercredi au dimanche 11h-19h, le jeudi 11h-21h, www.lamaisonrouge.org. Catalogue, 6 volumes entre 64 et 12 p. chacun, éd. JRP-Ringier, 35 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°337 du 16 décembre 2010, avec le titre suivant : Une vie de chien

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