Dans un arrêt récent, la cour d’appel de Paris a estimé que seule une installation en lien avec son environnement peut prétendre au droit d’auteur.
France. Une installation lumineuse peut relever du droit d’auteur, mais pas ses éléments isolés : tel est le sens d’un récent arrêt sur l’art in situ. Depuis l’apparition des ready-made de Marcel Duchamp, s’est posée la question de savoir si une simple chose pouvait accéder à l’envieux statut d’œuvre d’art protégée par le droit d’auteur. C’est en ce sens qu’il faut relever un arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 mars 2025 en ce qu’il estime qu’une boule à facettes ne peut être considérée comme une œuvre originale que lorsque celle-ci est en relation avec son environnement.
En 2009, l’artiste franco-canadien Michel de Broin a conçu pour la Nuit blanche une œuvre monumentale, La Maîtresse de la tour Eiffel, consistant en la suspension par une grue d’une boule à facettes géante éclairée par des projecteurs permettant aux faisceaux lumineux d’être reflétés dans le jardin et sur la façade du Palais du Luxembourg. Pensée par l’artiste spécialement pour cette occasion, l’œuvre a été fabriquée par la société Acoustique française qui a en assumé les frais tout en devenant propriétaire de la boule.
En 2019, l’artiste découvre que l’œuvre a été utilisée, sans autorisation, par la société Acoustique française pour l’inauguration des Galeries Lafayette sur les Champs-Élysées. Surtout l’artiste s’aperçoit qu’une photographie et une vidéo de son installation figurent sur le site Internet de la société depuis plus de dix ans. S’estimant lésé dans ses droits d’auteur, Michel de Broin a alors engagé une action en contrefaçon.
Pour que son action prospère, encore fallait-il être en présence d’une œuvre de l’esprit, à savoir une création qui a pris forme et qui est originale (article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle). Le 23 mai 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a estimé que l’œuvre était protégée au titre du droit d’auteur en raison de l’« association d’éléments évocatrice d’un “phénomène céleste” ». Autrement dit « l’originalité résulta[i]t du détournement de l’utilisation classique d’une boule à facettes et de son positionnement en surplomb associé à la puissance des éclairages, l’ensemble modifiant la perception de l’environnement ». Cependant les juges ont rejeté l’intégralité des demandes et l’artiste a fait appel.
Le 18 mars dernier, la cour d’appel de Paris a confirmé qu’une « œuvre n’est originale que dans sa relation avec un décor » et que « la boule est effectivement une composante de l’œuvre, mais prise isolément, elle n’ouvre droit à aucune protection ». En somme, l’exposition d’une œuvre protégée ne consiste pas nécessairement en un acte de contrefaçon si ce n’est pas l’œuvre en tant que telle qui est reproduite.
Aussi « le fait de publier des photos de cette boule n’est pas assimilable à une publication partielle de l’œuvre : prise isolément la boule ne renvoie pas nécessairement à l’œuvre [de l’artiste], à défaut cela reviendrait à priver la société Acoustique française de toute possibilité d’utiliser cette boule dont elle est pourtant propriétaire. » Une position similaire est retenue pour l’inauguration sur les Champs-Élysées puisqu’il y a eu « une utilisation classique de la boule à facettes, dans sa fonction usuelle d’agrément ». Dès lors la photographie et l’inauguration ne reproduisant pas cette modification de la perception de l’environnement, il n’y avait ni œuvres originales ni contrefaçon. A contrario, la vidéo – véritable making-of de l’œuvre – remplissait les conditions pour constituer une reproduction non autorisée de l’œuvre protégée. L’artiste voit donc son action prospérer sur ce seul point en obtenant tout de même une indemnisation de 65 000 euros pour cette reproduction contrefaisante, dont 5 000 euros au titre du préjudice moral.
Cette solution pourrait surprendre car il est assez paradoxal de reconnaître des droits d’auteur mais de dénier son application au motif que l’œuvre serait utilisée d’une manière utilitaire, ajoutant ainsi une condition non prévue par le Code de la propriété intellectuelle puisque l’article L. 112‑1 dudit Code pose l’indifférence de la protection des œuvres à leur « destination » : peu importe à quoi, celui qui a créé l’œuvre la destine. La confusion ne viendrait-elle pas alors de la formulation alambiquée choisie par les juges versaillais ?
En effet, sur le fond, cette solution serait logique car l’idée d’utiliser une boule à facettes pour créer un phénomène céleste dans l’espace public ne serait pas protégeable mais la même idée pourrait être protégée à partir du moment où il y a une création matérialisée, comme c’était le cas ici pour la seule et unique installation dans les jardins du Luxembourg. Elle confirmerait ainsi le refus de protéger de simples idées comme l’ont montré les affaires relatives aux« emballements »de monuments par Christo et Jeanne-Claude (voir JdA du 17 janvier 2025). C’est pourquoi les artistes disposent toujours de la possibilité d’agir sur le fondement d’une faute, d’une action en concurrence déloyale ou sur le parasitisme artistique.
Loin d’être anodin, cet arrêt rappelle le rôle joué par le droit dans les processus d’artification. Face aux débats de formulation, une clarification de la Cour de cassation serait la bienvenue pour la sécurité des artistes œuvrant dans le champ des installations in situ.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°654 du 25 avril 2025, avec le titre suivant : Une œuvre d’art peut-elle exister sans son décor ?










