Paris

Une nuit à l’Opéra

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2011 - 689 mots

L’architecte Odile Decq faufile sous les voûtes de la rotonde nord-est du palais Garnier un restaurant tout en courbes et contre-courbes.

PARIS -  Parce que, mélangeant anglais et français, Odile Decq parle de son restaurant en le nommant Phantom de l’Opéra, reviennent immédiatement en mémoire le roman de Gaston Leroux, Le Fantôme de l’Opéra (1910), et le film de Brian De Palma, Phantom of the Paradise (1974). Et, avant même de pénétrer le lieu, on se prend à rêver d’y croiser le trio déjanté, constitué des trois frères Marx, lesquels dans le film de Sam Wood, Une nuit à l’Opéra (1935), s’amusaient à composer, décomposer et recomposer le mouvement perpétuel.

Curieux endroit que cet Opéra de Paris (9e arr.), parangon d’un style éclectique qui les mêle tous : Pompéi et la Renaissance tardive, les ordres grecs et le baroque, l’orientalisme et le modernisme… Au soir de la pré-inauguration de la seule façade en 1867, l’impératrice Eugénie, dubitative, interroge l’architecte : « Qu’est-ce que ce style ? Ce n’est pas un style ! Ce n’est pas du grec, ni du Louis XV, pas même du Louis XVI. » Impertinent et malin, Charles Garnier répond : « Non, ces styles-là ont fait leur temps. C’est du Napoléon III. Et vous vous plaignez ! » Les rieurs et les flagorneurs sont de son côté, Garnier est adoubé… Plus doctement, en 1878, l’architecte décryptera son œuvre en ces termes : « L’Opéra est non seulement le temple des plaisirs, mais c’est aussi et surtout le temple de l’art, et d’un art particulier qui parle aux yeux, aux oreilles, au cœur et aux passions. »

De cette déclaration péremptoire, Odile Decq va faire son miel en se faufilant sous le grand volume de la rotonde nord-est, là où le groupe Gumery décide d’installer le restaurant dont il a emporté la concession (1). « Se glisser dans les chaussures des autres », ainsi qu’il est convenu de dire dans ce type d’exercice architectural, n’est pas chose aisée. Il y faut un chausse-pied et de l’imagination. Mais qu’importe, Odile Decq fait alors sienne l’assertion de Paul Valéry : « Mettez des chaussons trop petits aux danseuses, elles inventeront de nouveaux pas. » Une grande salle de 460 mètres carrés (88 places), ponctuée d’un élégant comptoir noir, occupe l’ensemble de la surface de la rotonde, dominée par une mezzanine de 195 mètres carrés (189 places) et précédée par une terrasse de 500 mètres carrés (175 places) en plein air, sur la rue Halévy. 

Une symphonie de rouge et blanc
L’immense structure blanche, tout juste posée sur des plaques de métal fixées au sol, se déploie telle une forme sinueuse, ondulante et sensuelle, glissant autour des piliers existants, les effleurant sans jamais les toucher. Tandis qu’un jeu de rampes comme suspendues mène du rez-de-chaussée à la mezzanine, l’ensemble étant clos par une immense façade de verre ondulant tel un rideau de scène immatériel. La masse blanche de la structure est ponctuée, scandée par le rouge qui envahit les sols, les sièges et les banquettes. Un rouge moins profond, moins sombre, moins théâtral que celui qui qualifie d’ordinaire l’opéra. « Un rouge passion ! », s’exclame l’architecte dont on sait la place que cette couleur occupe déjà dans son œuvre, notamment au Macro, Musée d’art contemporain de Rome (2010), et au Frac Bretagne à Rennes (2011). Rouge et blanc dominants donc, et qui renvoient à un autre film, le délicieux Les Chaussons rouges (1948) de Michael Powell et Emeric Pressburger, chaussons écarlates qui entraînent la ballerine Moira Shearer, sanglée dans son tutu immaculé en un infernal ballet sans commencement ni fin…

Reste à savoir si les deux chefs du restaurant, Christophe Aribert et Yann Tanneau, feront leurs délices des carpes élevées dans le réservoir du sous-sol et du miel des ruches posées sur le toit de l’Opéra. Quoi qu’il en soit, en ces temps de notation à tout va, on hésite à accorder à ce nouveau lieu un AAA (Architecture, Ampleur, Adéquation) de haute volée ou un non moins majeur OOO (Opéra, Odile, Osmose).

Notes

(1) Restaurant L’Opéra, Palais Garnier, place Jacques-Rouché, 75009 Paris, tél. 01 42 68 86 80

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°354 du 7 octobre 2011, avec le titre suivant : Une nuit à l’Opéra

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