Profession

MODÈLES VIVANTS

Une activité aussi ancienne que l’art

Par Laure Saffroy-Lepesqueur · Le Journal des Arts

Le 7 septembre 2022 - 543 mots

Si la figure humaine a de tout temps été reproduite, la profession de modèle ne fut reconnue qu’assez tardivement.

Dès la Préhistoire, on devine les premiers corps sculptés d’après le vivant et, à l’Antiquité, on trouve l’ébauche attestée de la profession de modèle : demander, en tant qu’artiste, à quelqu’un de bien vouloir prêter l’image de son corps. Il en est fait mention dans des textes parlant de peintres comme Zeuxis (464-398 av. J.-C.), à qui les Crotoniates hésitent à livrer leurs filles, sœurs ou épouses.

Là, commence toute l’ambiguïté de cette activité, intrinsèquement liée à l’anonymat. Les artistes, célèbres ou non, ont bien souvent dû s’accommoder d’un ami, d’un élève, d’une sœur, d’une amante ou d’une prostituée. Et puisqu’une personne de haut rang ne pose pas – si ce n’est pour un portrait officiel –, les contournements sont d’usage. Dès la Renaissance, Fra Filippo Lippi fait le portrait de son épouse Lucrezia Buti dans La Lippina (1465) – notons qu’on titre l’œuvre d’après le nom de l’artiste et non du modèle –, Raphaël peint Portrait de l’artiste avec un ami (vers 1500-1525) et le Caravage, La Mort de la Vierge (1601-1606), exemple parfait et morbide à la fois de l’utilisation d’un corps de prostituée, morte. Au XVIe siècle, le sculpteur Benvenuto Cellini écrit avoir recours à des femmes, mariées ou vierges, rémunérées l’équivalent de 3 euros actuels dont il abuse parfois.

Le modèle féminin associé à la modernité

L’histoire des modèles occasionnels est aussi une histoire de maltraitance financière, physique et d’immigration. Les artistes font poser des gens pauvres ou prêts à accepter des conditions plus difficiles, les femmes les premières.

Plus tard, sous le règne de Louis XIII, la création en France en 1648 de l’Académie royale de peinture et de sculpture marque un premier tournant officiel dans l’histoire des modèles.

L’académicien Denys Cochin (*), au XVIIe siècle, recommandait de choisir des modèles en fonction d’un physique reflétant la beauté de l’âme. Il était ainsi conseillé de faire appel à des modèles aux mœurs intactes, de préférence des hommes, pour arriver à un bon résultat. Car une ombre de petite vertu plane toujours sur la figure du modèle féminin. Si les hommes ne se cachent pas pour poser, les femmes le font généralement discrètement. Pourtant, dans l’imaginaire collectif et dans les faits, le modèle est plutôt féminin et, dès le XIXe siècle, les femmes ont assuré une toute nouvelle façon artistique masculine de créer : la femme qui pose apparaît comme un élément portant la modernité en elle, tournant le dos à un classicisme trop associé au modèle masculin. En frisant parfois avec le scandale, on s’assure alors un regard nouveau. En 1863, deux nus féminins s’offrent à voir : L’Olympia d’Édouard Manet et La Naissance de Vénus d’Alexandre Cabanel. Si la seconde, bien que plus voluptueuse, est acceptée grâce à son prétexte historique, la première, sans l’excuse de la mythologie, suscita l’indignation.

Erratum - 20 septembre 2022

(*) Une erreur s’est glissée dans l’encadré de l’article « Modèles vivants » publiée dans le JdA no 594 (9 sept. 2022). Il s’agit, pour le choix des modèles, des recommandations de l’académicien Charles Nicolas Cochin (père), au XVIIIe siècle, et non de Denys Cochin comme il est écrit. Nous prions l’autrice de nous en excuser.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°594 du 9 septembre 2022, avec le titre suivant : Une activité aussi ancienne que l’art

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