Genius loci

Un Museion en transition

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2014 - 668 mots

À Bolzano, «Â Soleil politique » se confronte à l’histoire de la ville et à l’architecture du musée, en inversant délibérément la hiérarchie des lieux.

BOLZANO - Certaines expositions ont l’intelligence des lieux. Leurs arguments prennent appui sur le contexte spécifique dans lequel elles viennent s’inscrire, mais surtout, sur ce fondement, elles parviennent à développer une réflexion cohérente qui va bien au-delà. L’intellectuellement ambitieuse proposition imaginée par Pierre Bal-Blanc pour le Museion de Bolzano est de celles-là, qui tout en s’appuyant sur l’édifice même et l’histoire de la cité, développe un brillant propos sur le rôle d’un musée dans l’espace social et urbain.

Pour ce faire, le directeur du Centre d’art contemporain de Brétigny-sur-Orge, qui au début de l’année 2015 quittera son poste pour rejoindre à Athènes l’équipe curatoriale de la Documenta 14, a bouleversé les lieux et proposé une modification radicale des usages du bâtiment. Son rez-de-chaussée, conçu comme un espace traversant entre deux secteurs de la ville, regroupe habituellement de simples fonctions d’accueil et d’animation, utilisables par des associations et pour des événements locaux. Dès la porte franchie, le visiteur entre aujourd’hui dans le vif du sujet, et c’est au quatrième étage, où se trouvent de véritables espaces d’exposition offrant des vues panoramiques sur la ville, qu’ont été déplacées les fonctions du bas, billetterie mise à part. Loin d’être un gadget, cette inversion permet d’évacuer d’emblée les hiérarchies intrinsèques à la structure et une certaine forme d’autorité qu’elles imposent, et interroge le rôle du musée, la manière dont il se rend accessible et lisible. Entièrement recouvert d’un carton gris qui s’effiloche au fil des passages, le sol changeant imaginé par Marcus Geiger contredit la pérennité du marbre tout en unifiant des espaces segmentés.

Entre humilité et totalitarisme

Une fois repensé le cadre et les relations qu’il induit, se met en place une fine réflexion sur les liens entretenus par la ville et le musée, dans un territoire à l’histoire mouvementée : devenu italien après avoir appartenu à l’Empire austro-hongrois, il est marqué à certains endroits par un héritage du régime mussolinien.

Tout à son habitude de procéder à des accrochages précis et sans concession faite à l’ornementation, le commissaire propose là un dense regroupement d’œuvres articulant plusieurs voies de lecture. S’y détache néanmoins un axe portant sur une opposition entre humilité et totalitarisme de la chose bâtie. Ainsi une photographie de Philippe Thomas signée par le CAPC-Musée d’art contemporain de Bordeaux donne à voir la collection fictive de photographies de façades de Georges Venzano, ce qui n’a là rien d’anodin eu égard à l’obsession du fascisme pour les façades et l’ordre qu’elles symbolisent. Lui répond une sculpture subtile et fragile de Marie Cool et Fabio Balducci, une table en bois clair très banale recouverte d’une fine et immobile pellicule d’eau dont la progression a été stoppée par un fin adhésif fixé sur les bords (Sans titre, 2011).

Une Vierge aux pieds chauds
De son côté, Dan Graham s’intéresse en 1966 à l’aspect sériel et répétitif de l’habitat américain dans sa série de photos Untitled (Homes for America), quand, pour la Biennale de São Paulo de 1978, Marta Minujín renversait la monumentalité d’un obélisque qui, une fois au sol, en devint pénétrable par le public et le support d’écrans de projection (El obelisco acostado, 1978-1985).

Dans ce lieu ordinairement voué au passage et à la transition, une œuvre de procession de Walter Pichler datée de 1970 sonne particulièrement juste ; elle interroge le poids de la religion qu’évoque également Alberto Garutti avec une monumentale statue de la Vierge dont les pieds sont chauds (Madonna, 2007), effet que le visiteur, monté sur une estrade, pourra constater.

Cette manifestation prend place dans le cadre de l’opération « Piano », lancée par d.c.a/association française de développement des centres d’art et inaugurée au printemps dernier. À l’image de « Thermostat » en 2010 et 2011, qui avait proposé un vaste programme de coopération entre centres d’art français et Kunstvereine allemandes, elle organise des échanges entre des institutions hexagonales et transalpines.

Soleil politique

Commissaire : Pierre Bal-Blanc
Nombre d’artistes : 55
Nombre d’œuvres : environ 120

Soleil politique. The museum between light and shadow

Jusqu’au 11 janvier 2015, Museion, Via Dante 6, Bolzano, tél. 39 0471 223 411, www.museion.it, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-22h. Catalogue à paraître.
Informations sur « Piano » : www.pianoproject.org.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°423 du 14 novembre 2014, avec le titre suivant : Un Museion en transition

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