Art contemporain

Diplomatie

Un « grand collage dada »

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 20 octobre 2006 - 704 mots

Dans le cadre du programme « Art France Berlin », l’exposition « Peintures/Malerei » est censée offrir un panorama de la création picturale en France depuis 1972. Un rendez-vous manqué.

BERLIN - L’affiche de l’exposition, visuel décliné pour l’ensemble de l’opération « Art France Berlin », annonce la couleur : s’y pavane un fier coq sur fond bleu. « Oui, mais il s’agit d’un coq allemand, qui plus est de race italiener [italienne] », tempère Laurent Le Bon, conservateur au Centre Pompidou et commissaire de l’exposition « Peintures/Malerei » au Martin-Gropius-Bau à Berlin. Il n’empêche, l’idée est aussi déplacée que d’illustrer une exposition d’art allemand à Paris par un casque à pointe, l’humour en plus ! Elle est néanmoins à l’image de l’opération menée par l’ambassade de France à Berlin pour promouvoir l’art hexagonal dans la capitale allemande, et lancée le 22 septembre par le Premier ministre lui-même, Dominique de Villepin.

Au Martin-Gropius-Bau, bâtiment néo-Renaissance de la fin du XIXe siècle édifié dans le plus pur style de Karl Friedrich Schinkel, Laurent Le Bon a réuni environ quatre-vingts artistes, chacun représenté par une seule œuvre selon le principe : « un mur, une œuvre, un artiste ». « Superficiellement, en réponse à la question posée (créer une exposition d’art contemporain français), “Peintures/Malerei” pourrait se rapprocher du degré zéro du commissariat », écrit le conservateur dans le catalogue. Peu avare en formules, et sortant juste de la grande exposition organisée sur le sujet il y a quelques mois au Centre Pompidou, il ajoute même avoir voulu réaliser ici un « grand collage dada ». En bon élève, Laurent Le Bon a certes rendu sa copie à l’heure, évité le hors-sujet et proposé quelques passages agréables (Aurelie Nemours face à Daniel Walravens, par exemple), mais son plan est indéniablement à revoir. Aligner des artistes selon l’ordre alphabétique de leur nom revient à dénier la valeur artistique de leur œuvre, réduite au rang d’échantillonnage stérile. À l’heure où le Musée national d’art moderne lui-même propose une présentation thématique de ses collections, l’exposition berlinoise donne l’image d’un conservateur démuni face aux œuvres qu’il doit accrocher. En rempart, on pourra toujours évoquer l’ironie du geste, un humour qu’auront cependant du mal à partager les artistes qui jouent aussi ici l’avenir de leur carrière. Dans un tel contexte, difficile en effet de briller, si ce n’est les « peintres » qui ont bénéficié pour l’occasion d’une commande spéciale : Claude Rutault avec un hommage à Watteau ; Franck Scurti et son Oh là là… ; Adel Abdessemed avec Adel will die Kuratoren versteigern (Adel veut vendre les curateurs aux enchères) ; Christophe Cuzin et son décalage architectural ;  ou Felice Varini et ses formidables Trois triangles bleus. Enfin, le parcours se termine sur une œuvre de Zao Wou-ki – clin d’œil appuyé au Premier ministre qui a signé la préface du dernier ouvrage consacré au Chinois –, confronté à Ming, curieusement classé en fonction du « Y » de son prénom ! En définitive, il faudra beaucoup d’attention et de perspicacité au visiteur allemand pour se faire une idée précise de la peinture en France à partir de cette exposition problématique.

Ailleurs dans Berlin, des dizaines d’autres manifestations ont été labellisées « Art France Berlin » : l’Hymne de Claude Lévêque à la Hamburger Bahnhof ; Habibi volant dans un temple par Adel Abdessemed ; les expositions de Jean-Luc Moulène et de Nicolas Moulin à C/O Berlin ; les vidéos d’Éléonore de Montesquiou à Plattform ou encore les peintures de Nicolas Chardon à 2YK Galerie. Sans oublier l’initiative personnelle du collectionneur Jean-Mairet qui présente dans un accrochage convaincant les œuvres de Vincent Corpet, Gilles Barbier, Maike Freess et Chan Kai-Yuen. Reste à mesurer l’impact d’un tel programme qui, à lui seul, a absorbé la majorité du budget 2006 de soutien à nos artistes en Allemagne.

Peintures / Malerei jusqu’au 12 novembre, Martin-Gropius-Bau, Niederkirchnerstr. 7, Berlin, www.artfranceberlin.de, tél. 49 30 254 86-0, tlj sauf mardi 10h-20h.

ART FRANCE BERLIN
Conception : Chantal Colleu-Dumond, conseillère culturelle, ambassade de France
Nombre de manifestations : plus de 30
Budget : 1,5 million d’euros
Principaux financements :
- Ambassade : 300 000 euros
- CulturesFrance : 200 000 euros
- Mécénat : 100 000 euros

CulturesFrance sur tous les fronts

Après l’échec d’événements coup-de-poing organisés à l’étranger, l’AFAA (Association française d’action artistique), devenue CulturesFrance, a décidé de mener des opérations plus subtiles, en partenariat avec des opérateurs locaux. Cette approche, déjà mise en œuvre sans beaucoup de succès pour « Côte ouest » aux États-Unis en 1999 (lire le JdA no 94, 3 déc. 1999, p. 8), permet d’aider les expositions de créateurs français sans pour autant cataloguer ces derniers comme « artistes d’État », une étiquette peu porteuse à l’internationale. L’automne 2006 marque une présence sur tous les fronts avec l’organisation simultanée de « Art France Berlin » et de « Paris Calling » à Londres, deux opérations montées par les ambassades de France sur place. Des événements qui laissent malheureusement sceptiques, malgré d’indéniables bonnes volontés, quant à leur influence sur les prescripteurs du monde de l’art contemporain.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°245 du 20 octobre 2006, avec le titre suivant : Un « grand collage dada »

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