Dialogue

Un été chez Le Corbusier

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2014 - 789 mots

Après les frères Bouroullec et Konstantin Grcic, c’est au tour de Pierre Charpin d’installer ses créations dans un appartement habité de la Cité radieuse à Marseille.

MARSEILLE - Drôles de cimaises que les murs d’un appartement siglé « monument historique ». Et singulier rendez-vous que celui organisé entre un architecte moderne, Le Corbusier, et un designer contemporain, Pierre Charpin. La « rencontre » a lieu dans un logement de la Cité radieuse, à Marseille : le no 50, classé en 1995. Ses propriétaires ont pris pour habitude d’inviter, l’été, la crème des designers contemporains à investir de leurs œuvres leur habitation, soit 98 m2. Après Jasper Morrison, Ronan et Erwan Bouroullec puis Konstantin Grcic, c’est au tour de Pierre Charpin de s’y installer. La philosophie du maître franco-suisse n’a pas laissé le designer de marbre, au contraire : « De prime abord, l’édifice paraît dur et donne l’impression d’une grande puissance ; or, à l’intérieur, c’est à la fois beau et pas ostentatoire. “Corbu” a dessiné plein de petits “trucs” qui n’ont l’air de rien mais qui sont une suite de détails extrêmement bien pensés, comme cette baie vitrée qui s’ouvre entièrement pour prolonger le salon sur le balcon ou cet élément de quincaillerie qui permet de laisser une fenêtre à demi ouverte sans que le mistral ne la fasse claquer. Ces “outils” semblent parfois rudes, mais sont en réalité incroyablement sensuels. On ressent le plaisir qu’a eu “Corbu” de donner quelque chose aux habitants. L’intelligence est partout. C’est une sacrée leçon ! »

Couleurs franches et fraîches

C’est avec enthousiasme donc que Pierre Charpin a répondu à cette invitation pour le moins originale. « Le principe même de cette exposition est très intéressant, explique-t-il. Il s’agit de disposer des pièces dans un espace qui est un lieu de vie et qui doit le rester, car les propriétaires, eux, continuent à vivre normalement durant l’exposition. » Le designer a exploré les moindres recoins et sélectionné certains endroits précis pour y disposer ses objets. Il a eu l’entière liberté de conserver ou non les meubles existants, et souhaité garder quelques pièces des présentations précédentes, instaurant, de fait, un dialogue à plusieurs voix : « J’ai voulu montrer que cet appartement était constitué de multiples histoires imbriquées, un état d’origine et des interventions successives. C’est cette stratification qui rend le lieu très vivant », estime Pierre Charpin.

Dans la salle à manger, il a installé une table haute dessinée, en 1998, pour la galerie Post Design, mais laissé les chaises originales signées Charlotte Perriand. Non loin, sur la console de la mezzanine, il déploie une série de vases conçus au Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (Cirva), à Marseille, lesquels jouent avec la transparence et le calepinage des fenêtres du salon. Dans ledit salon, la table Crescendo (Galerie Kreo, 2014), habillée de mosaïques, renvoie sans doute à ces minuscules carrés de couleur disséminés sur les façades du bâtiment. Vue habituellement à hauteur d’homme, celle-ci est, ici, placée de manière à ce que le visiteur puisse la contempler en contre-plongée, depuis la mezzanine, offrant ainsi une manière nouvelle d’admirer le motif coloré du plateau. La polychromie assure d’ailleurs une forte présence à certaines pièces, mais aussi à moult dessins, qui, agrandis et joyeux, s’insèrent délicatement dans le quadrillage rigoureux des baguettes murales. Les couleurs de Charpin, franches et fraîches, réveillent un espace jadis habitué aux nuances plus profondes et un brin feutrées de Le Corbusier.

De l’entrée jusqu’aux chambres, le designer déroule tout son vocabulaire de formes simples et élémentaires. Si certains « dialogues » sont évidemment écrits, d’autres sont inconscients, « issus après coup, assure-t-il. Comme la table de la salle à manger, dont le plateau est souligné de liserés noirs qui font écho au jeu des baguettes murales ». Parois classées obligent, hormis quelques punaises pour accrocher les dessins, aucun objet n’est fixé à même les murs. Ainsi le vide-poches Ufo n’est-il pas suspendu au plafond, mais « arrimé » au garde-corps de la mezzanine grâce à un judicieux système d’équerre.

Le plus étonnant, dans ce mélange de pièces conçues en deux décennies, est d’observer, en filigrane, cette cohabitation sans heurts entre « anciennes » et « actuelles ». Une douce homogénéité qui sourd d’ailleurs à l’envi de la séduisante monographie parue en mai et sobrement intitulée Pierre Charpin (1), qui rassemble l’ensemble de sa production. « J’ai souvent le sentiment de dessiner des choses plus que des objets, y écrit notamment Pierre Charpin. La chose échappe à l’étroitesse et à la permanence d’une définition, d’une signification. » La preuve in situ.

Note

(1) Pierre Charpin, éd. JRP-Ringier, mai 2014, 160 p., 257 ill. coul., 40 €.

Charpin

Scénographie : Pierre Charpin
Nombre de pièces : une cinquantaine

PIERRE CHARPIN À L’APPARTEMENT No 50D

Du 15 juillet au 15 août, Unité d’habitation Le Corbusier, appartement 50, 5e rue, 280, bd Michelet, 13008 Marseille, tél. 06 86 23 73 78 ou jmd@appt50lc.org, tlj sauf lundi et mardi 14h-17h30.

Légende photo
Vues de l'exposition de Pierre Charpin à l'Appartement n°50, Marseille. © Photo : Philippe Savoir.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Un été chez Le Corbusier

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