Canada - Art contemporain

Rétrospective

Un Doig tropical

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 12 février 2014 - 708 mots

Artiste rare, Peter Doig présente au Musée des beaux-arts de Montréal une très belle exposition centrée sur ses dix dernières années.

MONTRÉAL - Monter une exposition consacrée à Peter Doig relève du tour de force. L’artiste, en effet, produit très peu : moins d’une dizaine de toiles de grand format sont réalisées en général chaque année. C’est la conséquence directe de l’exigence de Peter Doig qui tient la peinture en haute estime – il est, après tout, le direct et digne héritier des plus grands maîtres de la peinture moderne : Manet, Gauguin, Caillebotte, Munch, Klimt, Bonnard ou Matisse pour l’influence européenne, Edward Hopper, Marsden Hartley, Tom Thomson, James Wilson Morrice pour le legs nord-américain.

Tout entier à son art, perfectionniste en diable, Peter Doig travaille et retravaille souvent ses tableaux pendant des années avant de parvenir au résultat qui le satisfait. Artiste au succès phénoménal, ses toiles sont dispersées dans de très nombreuses collections publiques et privées.

Depuis la flamboyante exposition de mi-carrière que la Tate Britain de Londres, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris et la Schirn Kunsthalle de Francfort-sur-le-Main lui ont consacrée en 2008, Peter Doig n’avait pas bénéficié de grande exposition. Forte d’un immense succès en Écosse, la rétrospective actuelle, coproduite par le Musée des beaux-arts de Montréal et les National Galleries of Scotland d’Édimbourg, ville natale de l’artiste (lire p. 35), a traversé l’Atlantique pour gagner le Québec, région où Peter Doig a passé une partie de son enfance, de son adolescence et de sa vie de jeune adulte.

Figuration souple
Cette première en Amérique du Nord présente la production de l’artiste depuis qu’il s’est établi, en famille, en 2002 sur l’île tropicale de Trinité (Caraïbes), découverte enfant au cours des déplacements professionnels  paternels. Si ce trait peut évoquer la présence de Gauguin à Tahiti, Peter Doig, lui, n’a cessé d’effectuer des allers et retours réguliers entre son île et Londres, Düsseldorf – où il a enseigné à la très prestigieuse Kunstakademie – et, désormais, New York, où l’artiste est installé une partie de l’année et dispose d’un second atelier.

Au travers d’une centaine d’œuvres parmi lesquelles 40 tableaux de grandes dimensions, toutes réalisées au cours des quatorze dernières années, l’exposition, présentant souvent côte à côte études exploratoires et œuvres achevées ou variations autour d’un même motif, permet de mieux comprendre la démarche de Peter Doig.

S’il représente surtout des paysages, souvent somptueux, c’est avant tout la peinture qui est donnée à voir. À l’aide d’une palette d’une étonnante sensualité, s’affirme surtout un très grand coloriste (il ose même des pigments littéralement argentés !) qui rivalise avec ses maîtres en la matière, Gauguin ou Matisse. Les rêveries combinent parfois en un même tableau éclairages naturels diurnes et lumières nocturnes comme dans le sublime Grande rivière de 2001-2002, qui mêle tons verts, bleus et nacrés et rend hommage au Cheval blanc de Gauguin, mais en appelle aussi à Munch ou Klimt. La peinture de Peter Doig est celle d’un artiste très cultivé et très imprégné d’histoire de l’art qui ne se contente pas des autoréférences de nombre d’artistes contemporains.

Seule réserve, les tableaux dans lesquels il semble se forcer à introduire des motifs géométriques, des rectangles en particulier, convainquent nettement moins car l’angle droit y paraît déplacé. Peter Doig semble alors lutter contre sa vraie nature de praticien d’une figuration souple, celle d’un peintre lyrique et sensuel.

L’exposition est d’autant plus pertinente qu’elle est présentée dans les salles du Musée des beaux-arts de Montréal qui furent aménagées en 1912, une époque dans laquelle l’artiste puise le plus son inspiration.

De Peter Doig, on retient souvent le prix record pour un artiste européen vivant obtenu par son White Canoe, en 2007, chez Sotheby’s. La belle exposition de Montréal relègue ce haut fait au rang de simple anecdote. Avant tout, Peter Doig est un très grand peintre.

Peter Doig

Commissaire : Stéphane Aquin, conservateur en chef adjoint (et Keith Hartley pour la Scottish National Gallery of Modern Art à Édimbourg)

Nombre d’œuvres : une centaine

Peter Doig. Nulle terre étrangère

Jusqu’au 4 mai, Musée des beaux-arts de Montréal, pavillon Michal et Renata Hornstein, 1380 rue Sherbrooke Ouest, Montréal, él. 1 514-285-2000, Mardi, jeudi et vendredi 11h-17h, mercredi 11h-21h, samedi et dimanche 10h-17h, www.mbam.qc.ca

Légende photo

Peter Doig, Red Boat (Imaginary Boys) [Bateau rouge (Garçons imaginaires)], 2004, huile sur toile, 200 x 186 cm, The Weston Collection. © Photo : Jochen Littkemann

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°407 du 14 février 2014, avec le titre suivant : Un Doig tropical

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