Centre d'art

ENTRETIEN

Sophie Legrandjacques : « Des outils indispensables au service des artistes »

Présidente de l’association française de développement des centres d’art contemporain (d.c.a)

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 17 juin 2020 - 938 mots

Sophie Legrandjacques dirige depuis 1998 le centre d’art Le Grand Café à Saint-Nazaire et préside également l’association d.c.a. qui a lancé une série d’ateliers de réflexion pour dresser un premier constat et esquisser le futur après la crise sanitaire.

La plupart des centres d’art sont ouverts ou vont rouvrir dans les prochains jours, comment appréhendez-vous cela ?

Au plaisir de retrouver les œuvres et le public se mêle l’appréhension d’une situation nouvelle, à savoir accueillir des visiteurs masqués dans le respect de la distanciation sociale. Cela bouscule notre pratique de la médiation, individualisée et incarnée, où la discussion et l’échange enrichissent l’expérience sensible des œuvres. Espérons que nous pourrons dès cet été retrouver des conditions plus favorables d’autant que le rendez-vous « Plein soleil, l’été des centres d’art contemporain » propose de découvrir une quarantaine d’expositions et plus de 200 artistes cet été partout en France !

Quel est l’impact financier de la crise ?

Il est contrasté à l’échelle nationale, selon les territoires, les tailles des structures, les modèles économiques, les statuts. Sans surprise, les pertes sont lourdes pour les centres d’art pour lesquels les recettes propres (billetterie, privatisation des lieux…) et les apports du privé sont importants. Pour la majorité des centres d’art membres de d.c.a dont les missions de service public sont financées par l’État et les collectivités territoriales, l’impact est moindre mais bien réel. Beaucoup complètent leur budget annuel par des subventions venues de fondations ou d’appel à projets. Ces recettes complémentaires sont généralement perdues et le report des expositions n’est pas non plus indolore. Toutes ces petites pertes cumulées pèsent sur des budgets déjà très contraints, voire modestes, auxquels s’ajoute le coût des mesures sanitaires nécessaires à la reprise.

Au-delà des pertes immédiates, quel modèle économique voulons-nous pour la création ? Cette crise est profonde et il est impossible de prédire les finances des collectivités territoriales dans les prochaines années. Mais elle ne doit pas nous faire oublier que le secteur des arts visuels est l’un des moins bien dotés de la culture. Les marges de progression existent même en temps de crise. C’est une question de choix politique et d’équité.

Et pour les artistes ?

La situation est très préoccupante. Pour soutenir durablement la création contemporaine en France, il est essentiel de consolider le réseau des centres d’art, car ce sont des outils indispensables au service des artistes. Les centres d’art membres de d.c.a financent chaque année la production d’œuvres à hauteur de 6,6 millions d’euros. C’est loin d’être anecdotique rapporté à d’autres dispositifs.

C’est d’autant plus important que beaucoup d’artistes exposés en centres d’art n’ont pas de galerie, comme les artistes émergents. D’autres ne sont pas toujours reconnus par le marché, car ils produisent des œuvres peu commerciales avec des formats particuliers. Dans ce cas, les centres d’art servent de passerelles vers les collections publiques ou privées qui acquièrent nos productions.

Quelles sont vos premières pistes de réflexion pour le « monde d’après » ?

Nous avons organisé des ateliers au sein de l’association et nous ne sommes qu’au début de nos réflexions. À ce stade, nous voulons consolider la charte des bonnes pratiques votée en 2019 qui comprend une grille de rémunération pour les artistes avec un minimum de 1 000 euros pour la conception artistique et 1 000 euros pour le droit de présentation. Si ce barème a minima engage nos membres, nous devons aussi en faire la promotion au-delà de l’association. Les freins à son application ne sont pas qu’économiques, ils relèvent aussi de mauvaises habitudes.

La prochaine étape consiste à prendre en compte les différents temps de travail des artistes, comme les résidences, la médiation, la recherche, pour y associer une rémunération propre et consolider une économie du travail artistique. D’autres questions comme l’impact environnemental de la production ou notre rapport au travail nous animent également.

Êtes-vous favorable à des coproductions d’expositions ?

Les expositions que les artistes réalisent en centre d’art sont souvent contextualisées et ne se prêtent pas toujours à l’itinérance. C’est notre richesse, mais ce peut être une contrainte pour systématiser les coproductions. Nous réfléchissons à de nouvelles formes de coopération sur le terrain de la recherche, de la production théorique ou autour de formats artistiques spécifiques comme la performance, pour soutenir autrement les artistes, mais aussi les critiques d’art, les auteurs, les indépendants qui travaillent dans nos lieux.

Allez-vous participer à « l’été apprenant » du président Emmanuel Macron ?

Les centres d’art sont déjà très actifs tout au long de l’année dans les projets d’éducation artistique et culturelle (EAC). Nous allons dans les écoles et près de 100 000 scolaires viennent voir nos expositions. Dans certains territoires, le centre d’art est aussi la seule structure culturelle à offrir un accès à la création contemporaine.

Le niveau actuel d’équipement numérique de nos structures est en revanche trop faible pour développer sérieusement des projets pédagogiques adaptés. La mise en place d’un plan national d’investissement en la matière et consacré au réseau des centres d’art est une nécessité.

Que vous apporte le label Centre d’art contemporain d’intérêt national ?

Ce label contribue à la structuration du secteur des arts visuels qui accuse un certain retard en la matière. Il encourage la professionnalisation et le dialogue entre tous les partenaires politiques du centre d’art, réunis autour d’un projet. Les conventions pluriannuelles du label sécurisent les financements et les élus sont eux-mêmes confortés dans leurs convictions par l’engagement de l’État qui doit rester pilote dans l’attribution du label. À ce jour, 22 structures membres de d.c.a sont labellisées ; il faut poursuivre ce mouvement pour donner un avenir durable aux centres d’art, ces merveilleux outils au service des artistes, des publics et des territoires.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°548 du 19 juin 2020, avec le titre suivant : Sophie Legrandjacques, présidente de l’association française de développement des centres d’art contemporain (d.c.a) : « Des outils indispensables au service des artistes »

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