Paroles d'artiste

Silvie Defraoui, artiste

« Ce que je recherche, ce sont des instantanés de pensées »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 13 octobre 2009 - 792 mots

Le Centre culturel suisse, à Paris, accueille Silvie Defraoui (née en 1935). À travers films, photographies et sculptures, dont de nombreuses œuvres récentes, l’exposition « Sombras Eléctricas » met au jour le goût de l’artiste pour les superpositions et les fragments qui interrogent la mémoire, tout en laissant le champ libre au développement de nouvelles formes et histoires.

Avec votre époux, Chérif Defraoui (1932-1994), vous avez en 1975 initié un projet générique intitulé Archives du futur. Travaillez-vous toujours dans ce cadre ?
Oui, en effet. Ce concept d’Archives du futur s’est mis en place quand nous avons décidé de signer nos œuvres conjointement. En 1975, il y avait encore assez peu d’artistes faisant cela, mais nous voulions dire que le travail en commun est aussi important que le génie pur et simple auquel on croit souvent chez les artistes. Notre travail était basé sur une sorte d’opposition, une différence d’être, il sortait toujours d’une discussion. Ni le style ni un médium particulier ne nous intéressaient. Nous nous attachions plus à une forme de transposition de ce qui se passait tous les jours, dans notre vie et dans le monde alentour. C’est donc quelque chose qui se poursuit très normalement.

N’y a-t-il pas une antinomie entre les deux termes ?
Oui et non, car il faut considérer le présent, mais aussi le passé qui le conditionne, et le futur qui est conditionné par le présent ; c’est finalement très logique. La plupart du temps, n’importe lequel d’entre nous parvient très bien à imaginer ce que sera demain en regardant notre environnement, les réactions des gens, leur manière de se conduire et la façon dont le monde change. Je crois que, si l’on observait beaucoup plus ce qui nous entoure, nous serions plus attentifs à notre futur.

Beaucoup de votre travail repose sur la mémoire. Cette attention passe-t-elle par le traitement de l’apparition de l’image ? Car il y a souvent chez vous des superpositions dans une même image, des apparitions, des disparitions, des changements de forme…
Tout ceci est plutôt basé sur l’idée de projection. Projection est un mot très important dans mon travail, depuis toujours. Vous pensez à une chose, et derrière elle il y a une autre pensée, puis une autre, etc. Les choses n’existent pas toutes seules, elles sont incroyablement liées les unes aux autres. Il est très difficile de montrer cela avec des photos ou des vidéos, mais j’y tiens beaucoup.

Ces superpositions vous permettent-elles de voir les choses différemment ?
Tout simplement, si je suis dans un paysage et que je regarde une rivière couler, je pense à autre chose ; d’autres idées me viennent. Cela a à voir aussi avec la poésie. Il s’agit autant d’une évocation que d’une projection. Ce que je recherche, ce sont des instantanés de pensées, de choses qui se superposent constamment dans notre regard, et dans notre cerveau encore plus. Il ne s’agit nullement d’une quête de la pureté originelle d’une forme ou d’une idée. J’ai enseigné pendant longtemps et je déteste le didactisme. J’essaye donc simplement, dans ces travaux, d’évoquer les choses afin que le spectateur les regarde lui-même.

Vous venez d’achever une série de carreaux de ciment coloré que quelques interventions picturales minimes transforment en visages (Das Bild im Boden, 1986-2009). Vous intéressez-vous aux notions d’ornement et de décoratif ?
Je ne suis pas très amie du design, mais j’aime beaucoup l’ornement. C’est quelque chose qui appartient très profondément à notre histoire, sans toutefois être du design. Ce sont des formes qui surgissent pour des nécessités que nous, en Occident, avec notre narration, etc., nous connaissons peut-être moins. Je pense que l’ornement est très important en effet.

Le fragment, la casse, le débris sont, chez vous, des récurrences. La vidéo Aphrodite Ping Pong (2005) montre des assiettes dont on voit la destruction mais surtout la reconstruction par le mouvement arrière de l’image, et dans la série de photos Fragmente am Horizont (1999) de la vaisselle cassée se superpose à des horizons…
Quand, dans la vie, les choses se cassent, je tiens cela pour une espèce d’optimisme, car la casse peut aussi être très belle. Je crois, en outre, que le fragment existe en tant que pièce à part entière. Si l’on retourne dans l’Histoire, il y a tellement de fragments merveilleux qui nous entourent. Un tesson de vaisselle est quelque chose dont on peut regarder la forme propre, et non pas seulement regretter l’assiette cassée.

SILVIE DEFRAOUI. « SOMBRAS ELÉCTRICAS », jusqu’au 13 décembre, Centre culturel suisse, 38, rue des Francs- Bourgeoi s , 75003 Par i s , tél. 01 42 71 44 50, www.ccsparis.com, tlj sauf lundi et mardi 13h-20h, jeudi 13h-22h. Livre d’artiste : Les Choses sont différentes de ce qu’elles ne sont pas, éd. CCS, 64 p, 20 euros, ISBN 978-2-909230-07-4

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°311 du 16 octobre 2009, avec le titre suivant : Silvie Defraoui, artiste

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