Art belge

Si loin si proches

À Tourcoing, le Fresnoy jette son dévolu sur la Belgique contemporaine avec une exposition sincère et drôle

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 16 novembre 2010 - 670 mots

TOURCOING - Si, du fait de la mondialisation galopante, il est de plus en plus périlleux d’organiser des expositions portant sur des scènes régionales – sauf à ce qu’elles touchent à des territoires encore peu défrichés –, certaines initiatives parviennent encore à surprendre.

C’est le cas de l’accrochage concocté par Dominique Païni au Fresnoy-Studio national des arts contemporains (Tourcoing), qui s’intéresse à nos immédiats voisins du Royaume de Belgique.
En premier lieu, l’entreprise est une réussite car elle éclaire, à travers des figures issues de générations diverses, non des caractères nouveaux de l’art et de l’esprit belges mais une continuité dans un registre intellectuel exprimé tout en finesse… mine de rien ! Un registre qui prend appui sur deux idées maîtresses : un esprit dadaïste jamais mis en berne et un goût prononcé pour une sécheresse post-conceptuelle, où il n’est pas rare de voir percer un humour corrosif. Comme lorsque Sven Augustijnen utilise le format sévère du documentaire pour suivre un guide dans le parc Royal de Bruxelles, lequel conte très sérieusement la réalité alternative du lieu, et notamment les endroits de rencontres gays (Le Guide du parc, 2001).
 S’il est toujours délicieux de revoir La Pluie (1969) de Marcel Broodthaers, court film où l’artiste s’essaye à l’écriture alors que l’orage délave en un instant son travail, il est à voir en résonance avec un film de Sophie Whettnall. Celle-ci, à l’aide de Scotch fixé au sol et sur les murs, a enregistré les mouvements de la lumière à travers la fenêtre de son atelier, s’engageant dans une forme de course avec les éléments (Recording the Light, 2001), qui, comme chez son aîné, n’exclut pas l’idée de résistance et d’impossibilité.
Le lien au réel apparaît ainsi comme une composante récurrente de l’accrochage qui, eu égard au lieu où il prend place, fait la part belle au film sans toutefois négliger l’installation. Ainsi Pierre Bismuth met-il l’Eau de pluie de Bruxelles (2010) en bidon quand le redoutable Pol Pierart, grinçant au possible, affirme dans un film qu’« en Belgique le ciel est toujours pleu » ! Remarquable est en ce sens l’installation Billy (2006) de Stefaan Dheedene, qui, au-delà de la reproduction, s’inquiète de la fidélité des images. À côté d’une bibliothèque éponyme venue de chez Ikea, un film documente une action où l’artiste fait reproduire l’objet à l’identique par des artisans, dans les règles de l’art, avant de le signer puis de le retourner au magasin afin de le réinscrire dans la chaîne commerciale. Il est regrettable qu’à côté d’une telle subtilité il se soit autorisé au mur un jeu de mot douteux, inscrivant « Kamikaze » dans le lettrage d’Ikea ! 

Spéculation intellectuelle
Au-delà du réel, les traditions du symbolisme et du surréel sont toujours à l’œuvre, comme chez Honoré d’O qui, avec des gaines électriques, recrée un univers viscéral (Grisailles, 2010). Alors que Guillaume Bijl a retravaillé en un court film des images de James Ensor sur la plage à Ostende, où la part de réalité reste inconnue, y injectant de la sorte une dose d’irréel (James Ensor à Ostende, 2005). De ce parcours ressort l’image d’un art où l’apparente légèreté ne masque pas un fond grave. Un art profondément attaché à l’idée de spéculation intellectuelle, puisque construit jusque dans son versant objectal sur des hypothèses, des propositions, des surprises. Sans le claironner, cette exposition entretient des liens ouverts avec la situation politique, tant les artistes donnent une image du pays à mille lieux du psychodrame institutionnel qui s’y joue depuis longtemps. Car c’est bien à une sensation d’unité de la Belgique que renvoie la manifestation. Croisé dans les salles, un critique d’art belge confiait pourtant qu’« une telle exposition est impossible à faire chez [eux], sauf peut-être à Bruxelles, car il est difficile de montrer aujourd’hui une unité ». Nul n’est prophète en son pays ! 

ABC. ART BELGE CONTEMPORAIN,

jusqu’au 31 décembre, Le Fresnoy-Studio national des arts contemporains, 22, rue du Fresnoy, 59200 Tourcoing, tél. 03 20 28 38 00, www.lefresnoy.net, tlj sauf lundi-mardi 14h-19h, vendredi-samedi 14h-21h.

ABC

-Commissaire : Dominique Païni
-Nombre d’artistes : 40
-Nombre d’œuvres : 46

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°335 du 19 novembre 2010, avec le titre suivant : Si loin si proches

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