Art

Quand l’image se manifeste

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 7 septembre 2010 - 614 mots

En se penchant sur la forme du manifeste, l’Espace
de l’art concret s’intéresse à la dualité texte-image.

MOUANS-SARTOUX - Les manifestes artistiques n’ont plus la cote ! Organisée à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) par l’Espace de l’art concret, l’exposition « Le temps des manifestes » rappelle soudainement à l’amateur distrait qui n’avait plus le sujet à l’esprit, et pour cause, qu’en effet voilà bien longtemps qu’on n’a vu paraître de déclaration d’intention fondatrice portée par une base idéologique propice au développement d’intérêts communs. Ces manifestes ont-ils disparu ou seulement changé de forme ? C’est vers cette seconde hypothèse que semble tendre la manifestation, qui utilise les deux ailes du château pour scinder son propos en deux parties distinctes, l’une historique et l’autre plus contemporaine.

Du côté « ancien », des documents originaux et fac-similés reviennent sur quelques belles envolées du genre, du futurisme à Dada (« Dada ne signifie rien », se plaisent à rappeler Paul Éluard et Tristan Tzara en 1919), en passant par le « Manifeste contre rien pour l’exposition internationale de rien » de Piero Manzoni (1960), ou celui de l’art autodestructif de Gustav Metzger (1961). À la formulation papier se joignent ici et là quelques productions plastiques. Parfois illustratives, telle la remarquable mais néanmoins rigoureuse composition colorée de Carlo Vivarelli (Sans titre, 1955) qui fait écho aux deux manifestes de l’Art concret (1930 et 1995). Parfois revendicatives, telle cette affiche de Miró qui, en 1937, en pleine guerre civile, enjoint à « aider l’Espagne ». Parfois délicieusement subversives comme avec Fluxus, et notamment Henry Flynt proclamant : « No more art » ! Un tournant de l’aventure se situe certainement dans la Déclaration constitutive du Nouveau Réalisme (1960), signée par ses protagonistes en plusieurs exemplaires sur des papiers peints de couleurs différentes, élaborés par Yves Klein. Par sa matérialisation, le manifeste affirme là une réification qui le fait tendre vers l’objet d’art. 

Du document à l’œuvre
Or, la seconde partie de l’exposition ne donne plus à voir de documents mais des œuvres uniquement. Barbara Kruger use d’une formule choc, affirmant la prédominance de l’image dans Untitled (A picture is worth more than a thousand words), en 1992. Detanico & Lain redessinent le monde grâce au positionnement d’une police de caractères dans (Le Monde) justifié, aligné à gauche, centré, aligné à droite (2004). Les Guerilla Girls hurlent des slogans féministes sur des affiches… Chacun à leur manière, ses travaux interrogent tant la dualité que la complémentarité entre texte et image, tout en s’amusant avec le mode de conception graphique. À ce jeu-là, les tableaux de Philippe Cazal tirent des ficelles typographiques afin d’interroger la lecture et le mode de recomposition du message (L’art au service du peuple ; Je ne suis au service de personne, 2004), et Jean-François Dubreuil obscurcit, avec des formes élémentaires, des unes de quotidiens qui deviennent des compositions abstraites (LQSI – Midi Libre (Le Provençal), 1981).

Mais, si ces œuvres rendent très prégnante la problématique de la visualisation du langage, elles s’inscrivent aussi dans une dichotomie qui s’est doucement installée entre art et communication visuelle. Or, c’est là que l’exposition semble perdre le fil de son propos. Car suffit-il de dénoncer ou d’exprimer pour délivrer un manifeste ? La prise de parole, même portée par des slogans écrits, constitue-t-elle forcément une déclaration d’intention ? Il est permis d’en douter. Lorsque General Idea dénonce le consumérisme de l’image avec un papier peint aux couleurs de la mire (Test Pattern Wallpaper, 1989), dévoile-t-il pour autant un programme ? Rien n’est moins sûr.

LE TEMPS DES MANIFESTES, jusqu’au 3 octobre, Espace de l’art concret, château de Mouans, 06370 Mouans-Sartoux, tél. 04 93 75 71 50, www.espacedelartconcret.fr, tlj sauf lundi et mardi 12h-18h

LE TEMPS DES MANIFESTES

Commissaire : Fabienne Fulchéri, directrice de l’Espace de l’art concret
Nombre d’artistes : 21
Nombre d’œuvres et de documents : environ 60

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°330 du 10 septembre 2010, avec le titre suivant : Quand l’image se manifeste

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